Les orfèvres

Dates :

Seconde moitié du XVe siècle

Profession principale :

La présence du pouvoir royal et de la cour dans le Val de Loire fut à l’origine de l’installation de nombreux orfèvres à Tours dès la seconde moitié du XVe siècle. Ces artisans, qui étaient regroupés en une corporation placée sous le patronage de sainte Anne, étaient principalement établis dans les paroisses Saint-Pierre-du-Boile et Saint-Saturnin.

La ville comptait plusieurs dynasties d’orfèvres, les Mangot, les Gallant, les Redon ou les Chapillon, car, à l’instar de nombreuses activités à cette époque, le métier se transmettait d’une génération à l’autre. Le mariage d’un ancien apprenti avec la fille de son maître permettait d’assurer la pérennité de l’atelier et de garder l’affaire dans le giron familial. Le cas de Gilles (ou Gillet) Redon permet d’illustrer tout le spectre des relations que pouvait nouer un maître orfèvre et le réseau auquel il pouvait appartenir. La production de cet orfèvre, qui était le neveu du laveur et affineur d’or et d’argent Jean Redon, est totalement inconnue mais nous trouvons régulièrement sa trace dans les archives de la ville. Il fut le maître de Robert Chapillon, le fils de Jean Chapillon et de Anne Gallant qui était probablement apparentée à l’orfèvre Jean Gallant. Redon fut l’exécuteur testamentaire de l’orfèvre Raoulet Vallée (mort en 1516) avant d’épouser sa veuve Marie Gaultier. En 1530, il hérita d’une partie de la maison de Raymond Guyonnet, de son vivant marchand orfèvre. Les témoins de l’acte de partage entre les différents héritiers sont les maîtres maçons Gatien François et Jean Chersalle, le premier étant le gendre du sculpteur Guillaume Regnault et un collaborateur de Michel Colombe, le second ayant travaillé avec Jérôme Pacherot sur le chantier de Gaillon. Redon entretenait depuis longtemps des relations étroites avec le milieu des sculpteurs et maçons tourangeaux. En effet, en 1522, il avait promis sa belle-fille, Renée Vallée, à Jacques Descharnières, tailleur d’images à Tours et certainement un proche de Jean Juste, qui assista à l’accord entre les deux parties. Peut-être est-ce en vertu de ce mariage que Pierre Redon, le fils de Gilles, qui fut orfèvre et valet de chambre du roi de Navarre, eut la jouissance de la Granges aux marbres [Giraudet, 1885, p. 343], bâtiment qui jouxtait le logis de Jean Juste [Giraudet, 1885, p. 232]. Gilles Redon était donc bien intégré au sein de la communauté des orfèvres mais également dans celle des artistes qui travaillaient pour les plus importants commanditaires de l’époque.

L’apprentissage des jeunes orfèvres durait entre deux et six ans. Il débutait à l’adolescence, entre l’âge de 12 (Étienne Tardif) et de 17 ans (François Ledemin). Un contrat stipulait les conditions d’accueil de l’élève chez son maître. Celui-ci recevait de l’argent pour couvrir les dépenses liées à l’hébergement, à l’habillement et à la nourriture de son apprenti. Une fois la formation terminée, l’orfèvre pouvait devenir compagnon et être employé par un maître ou obtenir lui-même la maîtrise. La sous-traitance permettait de confier à un autre artisan une tâche qui ne pouvait pas être assurée. Par exemple, le 4 mai 1506, le Tourangeau Pierre Nyvoisin s’engagea à forger pour l’orfèvre blésois Geuffroy Jacquet soixante-quinze marcs d’argent blanc à employer en orfèvrerie blanche et dorée. Le commerce représentait une part importante de l’activité de certains orfèvres. Ainsi, Raymond Guyonnet est qualifié de marchand orfèvre dans les registres communaux lorsqu’il est payé pour la « vendiction et livraison » de la Nef offerte par la Ville à Anne de Bretagne en 1500. D’après le même document, Jean Gallant est rétribué pour « la faczon » d’une coupe en argent. À la lumière de cette différence sémantique, il convient de s’interroger sur le véritable rôle de Guyonnet dans cette vente. Les objets d’orfèvrerie circulaient de mains en mains, parfois en quantité importante, comme l’atteste un contrat passé entre Guyonnet et deux autres orfèvres de Tours, Gacien Boucault et Amourry Picard. La vente concerne un reliquaire en argent doré pesant cinq marcs, un collier, un bracelet, une couronne en argent doré, deux petits tableaux d’argent doré, l’un de saint Michel, l’autre de sainte Marguerite, le tout pour 170 livres. La somme est versée à Guyonnet sous la forme d’une grosse émeraude enchâssée d’or valant quatre-vingt-dix livres et le reste en monnaie.

 

Médaille de Louis XII, Michel Colombe et Jean Chapillon, 1500, droit : « LVDOVIC ‘XII’ FRANCORV REX MEDIOLANI DVX » ; revers : « VICTOR TRIVMPHATOR SEMPER AVGVSTVS », or, ø 3,6 cm, poids 26,83 g, Paris, BnF, département des Monnaies, médailles et antiques – Série royale 49.
Crédits : Photo © BnF, service reproduction

 

Nef de saint Ursule, Raymond Guyonnet, 1500, orfèvrerie, argent, cuivre, émail et cornaline, 46 x 28 x 16,5 cm, Reims, Palais du Tau, Musée du Sacre, TAU1905000176, extraite de Chancel-Bardelot B. de (dir.), Tours 1500, capitale des arts, catalogue de l’exposition du musée des Beaux-Arts de Tours du 17 mars au 17 juin 2012, Paris, Somogy, 2012.

Si la présence des orfèvres à Tours est bien documentée, leur production demeure en revanche mal connue. Il subsiste seulement deux œuvres : la Nef de sainte Ursule (Reims, palais du Tau) et un exemplaire de la Médaille de Louis XII (Paris, BnF). Une partie de cette production devait être vendue en boutique et une autre partie devait concerner des pièces communes qui ont laissé peu de traces dans les sources. Seule une poignée d’orfèvres entrait au service du roi et avait accès à la commande royale et princière. Le travail était diversifié. Il pouvait s’agir de tâches courantes comme la fabrication, la réparation et l’entretien de vaisselle en métal précieux. Entre octobre 1493 et janvier 1494, Robin Porcher (ou Porchier) confectionna à la demande d’Anne de Bretagne dix-huit plats et deux écuelles à partir de vaisselle en argent, sans doute usée ou passée de mode [Vrand, p. 177]. En 1487-1488, Jean Gallant reçut des paiements de Charles VIII pour une série d’objets du quotidien comme un crochet à chapeau, deux cuillères en or, des tasses, des gobelets, deux fermoirs de livres ornés des armes de France, etc. [Betgé, 1930, p. 117]. En octobre 1495, le roi lui commanda une corbeille en argent doré reposant sur des lions, avec deux grandes anses tenues par des hommes et femmes sauvages, accompagnée de deux coupes à boire, le tout pesant un poids de plus de deux cent quatre-vingt-six marcs d’argent (environ soixante-dix-neuf kilogrammes) [Vrand, p. 177]. Cet ensemble à la décoration recherchée n’était pas destiné à un usage quotidien mais s’inscrivait dans une production d’objets luxueux, auxquels seule une élite avait accès.

Les rois mobilisaient également d’importants moyens pour les pièces d’orfèvrerie religieuse. Vers 1430, Charles VII et sa maîtresse Agnès Sorel donnèrent chacun trois cents livres pour une nouvelle châsse destinée à recueillir les reliques de saint Martin, dont la réalisation fut confiée à Jean Lambert [Giraudet, 1885, p. 241]. Louis XI eut un mécénat actif et dès son couronnement, il fit fabriquer par André Mangot, un maître orfèvre d’origine germanique installé rue Traversaine [Giraudet, 1885, p. 280], un buste-reliquaire de sainte Marthe pour la collégiale de Tarascon en Provence. Mangot, qui portait en 1466 le titre d’orfèvre du roi [Grandmaison, 1870, p. 266], produisit également une statuette de Louis XI en argent pour Saint-Martin de Tours ainsi qu’ « un tableau [avec] la portraiture du roy à genoux devant un Saint Esprit » [Grandmaison, 1870, p. 270] dont la destination est inconnue. En 1479, le roi décida de remplacer la grille de fer qui protégeait le tombeau de saint Martin par une grille en argent. L’entreprise, qui coûta la somme de 72846 livres [Giraudet, 1885, p. 194], fut confiée à Jean Gallant. L’orfèvre confectionna également deux reliquaires en argent doré pour l’église Notre-Dame de Rangny près de Chinon et pour la chapelle de son hôtel de Bonne-Aventure (Huismes) [Douët d’Arcq, p. 383]. Son rôle ne fut pas seulement celui d’un exécutant : en 1476, il fournit le métal nécessaire à deux ex-votos en argent doré représentant les villes de Dieppe et d’Arques. Il travailla ensuite pour Charles VIII et pour son épouse, Anne de Bretagne pour laquelle il réalisa un reliquaire en forme de jambe qui fut offert au couvent de Notre-Dame des Carmes de Rennes [Vrand, 2016, p. 177].

Les commandes émanaient également des autorités civiles et religieuses. Les orfèvres réalisaient les présents donnés aux souverains par la Ville de Tours lors des entrées royales. Les nefs de table étaient des objets somptuaires traditionnellement offerts aux reines. En 1461, les élus dépensèrent 456 livres pour une nef conçue par Gilbert Jehan, orfèvre du roi à Tours, pour la reine Charlotte de Savoie. Deux nefs furent offertes à Anne de Bretagne, la première, œuvre de Jean Gallant, pendant de l’entrée 1491 et la seconde pendant l’entrée de 1500. Son époux, le roi Louis XII, reçut à cette occasion soixante médailles et une coupe en or fabriquées respectivement par Jean Chapillon et Jean Gallant. La renommée de la production tourangelle était grande et, en 1509, le chapitre de Saint-Maurice d’Angers préféra s’adresser à Jean Mangot plutôt qu’à un artisan local pour la conception d’une statue de saint Maurice en argent doré mesurant quatre pieds de haut ( soit un peu plus d’1,2 mètre) [Farcy, 1874-1876].

 

Bibliographie

Betgé André, « Fragments d’un compte du receveur général des finances de Languedoil (1491-1492), avec quelques notes et documents pour servir à l’étude du règne et de la vie privée de Charles VIII », dans Mémoires de la Société des Sciences et Lettres de Loir-et-Cher, 28, année 1930, 1931, p. 39-129.

Douët-d’Arcq Louis, Comptes de l’Hôtel des rois de France aux XIVe et XVe siècles, Paris, Librairie de la Société de l’histoire de France, 1865.

Farcy Louis de, « Hans Mangot, orfèvre tourangeau (XVIe siècle) », Bulletin de la Société archéologique de Touraine, T. 3, 1874-1876, p. 236-238.
Tixier Frédéric, « Les arts somptuaires à Tours autour de 1500 : état de la question », dans Boudon-Machuel Marion, Charron Pascale (dir.), Art et société à Tours au début de la Renaissance, actes du colloque du 10 mai au 12 mai 2012), Turnhout, Brepols, 2016, p. 161-172.
Vrand Caroline, « Reflets d’or et d’argent. Orfèvres et brodeurs tourangeaux au service de la cour royale vers 1500 », dans Boudon-Machuel Marion, Charron Pascale (dir.), Art et société à Tours au début de la Renaissance, actes du colloque du 10 mai au 12 mai 2012), Turnhout, Brepols, 2016, p. 173-184.