Nef de sainte Ursule

Auteur(s) :

Guyonnet, Raymond ?

Commanditaire(s) :

Corps de ville de Tours

Date(s) :

1500

Dimension(s) :

L : 28cm / H : 46cm / P : 16.5cm

Techniques / Matériaux :

Cornaline, argent doré et émaillé

Lieu de conservation :

Reims, Palais du Tau

Nef de saint Ursule, Raymond Guyonnet, 1500, orfèvrerie, argent, cuivre, émail et cornaline, 46 x 28 x 16,5 cm, Reims, Palais du Tau, Musée du Sacre, TAU1905000176, photographie extraite de Chancel-Bardelot B. de (dir.), Tours 1500, capitale des arts, catalogue de l’exposition du musée des Beaux-Arts de Tours du 17 mars au 17 juin 2012, Paris, Somogy, 2012.

Les entrées royales constituaient des cérémonies ritualisées pendant lesquelles le cortège royal empruntait un parcours urbain jalonné de représentations théâtrales appelées mystères. Les artistes de la cité étaient alors sollicités par la municipalité pour en préparer les décors ou pour élaborer les cadeaux qui étaient offerts aux souverains. Les artistes les plus renommés, tels les peintres Jean Fouquet ou Jean Poyer et le sculpteur Michel Colombe, prirent tous, en leur temps, une part active dans ces préparations. En 1500, d’importantes dépenses furent engagées pour les objets d’orfèvrerie destinés au couple royal. Louis XII reçut soixante médailles en or fondues par Jean Chapillon d’après un modèle de Michel Colombe, et une coupe également en or réalisée par Jean Gallant. Raymond Guyonnet fut quant à lui chargé de fournir une Nef « tant d’or que d’argent doré » pour Anne de Bretagne.

 

Médaille de Louis XII, Michel Colombe et Jean Chapillon, 1500, droit : « LVDOVIC ‘XII’ FRANCORV REX MEDIOLANI DVX » ; revers : « VICTOR TRIVMPHATOR SEMPER AVGVSTVS », or, ø 3,6 cm, poids 26,83 g, Paris, BnF, département des Monnaies, médailles et antiques – Série royale 49.
Crédits : Photo © BnF, service reproduction

 

Les nefs étaient des présents traditionnellement offerts aux reines par les autorités urbaines. En 1461, Gilbert Jehan en réalisa une pour Charlotte de Savoie, l’épouse de Louis XII, et, en 1491, la ville s’adressa à Jean Gallant, orfèvre du roi, pour la confection d’une « gallée » (une galère) en argent doré ornée de fleurs de lys et d’hermine. Ces objets en forme de navires appartenaient à l’art de la table. Disposés à côté d’une personnalité importante, ils pouvaient servir de coffret de rangement aux effets personnels de leur propriétaire (épices, serviette, couverts) ou avoir une fonction uniquement décorative. La nef de Reims, dont la coque est en cornaline, présente des dimensions importantes mais pas exceptionnelles puisque la nef de Schlüsselfeld réalisée dans la même période (1503, Nuremberg, Germanisches National Museum) mesure soixante-dix-neuf centimètres de haut.

La nef est le seul témoignage de l’orfèvrerie tourangelle au tournant du XVIe siècle. Elle porte un poinçon associant deux tours couronnées et la lettre « R ». Les comptes de la ville attestent l’achat de l’objet à Raymond Guyonnet, marchand orfèvre à Tours, mais cela ne signifie pas, dans le cas où ce dernier ne fut qu’un intermédiaire, que le poinçon soit bien le sien [Renumar, 19 janvier 1501]. En 1505, Anne de Bretagne fit appel à l’orfèvre Blésois Henry Duzen pour transformer l’objet en reliquaire. À cette occasion, les statuettes de sainte Ursule et de plusieurs de ses compagnes se substituèrent à celles de l’équipage (à l’exception d’un soldat et un matelot) qui ornaient la nef initialement. Selon la légende, Ursule était une princesse bretonne qui fut massacrée à Cologne avec onze mille jeunes vierges par les Huns lors du retour d’un pèlerinage à Rome. Le récit fut notamment popularisé par Jacques de Voragine qui, dans la Légende dorée (XIIIe siècle), relate le périple de la sainte, qui se fit en partie en bateau.

Anne de Bretagne priant, entourée de sainte Anne, sainte Marguerite et sainte Ursule, Jean Bourdichon, enluminure sur parchemin, extraite de Horae ad usum Romanum, dites Grandes Heures d’Anne de Bretagne, 1503-1508, BnF, Département des Manuscrits, Latin 9474, f°3r°.
Crédits : Source gallica.bnf.fr / BnF

Anne de Bretagne profita donc de la forme particulière de l’objet pour en faire un élément liturgique en adéquation avec la fervente dévotion qu’elle portait à la sainte patronne de son pays natal. C’est d’ailleurs dans les mêmes années qu’elle se fit représenter avec la sainte par Jean Bourdichon dans les Grandes Heures d’Anne de Bretagne (v. 1503-1508, BnF). Ursule est figurée de façon presque similaire dans les deux œuvres. Elle présente un visage impassible, des cheveux longs attachés derrière la nuque et couvrant les oreilles. Sa tête, auréolée d’un nimbe, est ceinte d’une couronne. La sainte Ursule de la nef, à l’image de celle de l’enluminure, devait tenir de la main droite l’étendard breton et la flèche de son martyre. Pour le vêtement, l’orfèvre reprend le long manteau rouge doublé d’hermine et la robe à surcot de la sainte Hélène qui accompagne également Anne dans la miniature de Bourdichon.

La nef demeura dans les collections royales jusqu’à ce que Henri III l’offre à l’occasion de son sacre en 1575 à l’archevêque de Reims après y avoir fait graver une longue inscription sur le socle. Elle fut à nouveau modifiée au XVIIe siècle lorsque les cinq statuettes qui avaient disparu avant 1623 furent remplacées.

 

Bibliographie et sources

Bresc-Bautier Geneviève, Crépin-Leblond Thierry, Taburet-Delahaye Élisabeth (dir.), France 1500, entre Moyen-Âge et Renaissance, catalogue de l’exposition du Grand Palais à Paris du 6 octobre 2010 au 10 janvier 2011, Paris, RMN, 2010, cat. 31.
Rouillac Philippe, « La nef offerte en 1500 par les Tourangeaux à la reine Anne de Bretagne », Mémoires de l’Académie des sciences, arts et belles lettres de Touraine, T. XXV, 2012, p. 145-152.
Tixier Frédéric, « Les arts somptuaires à Tours autour de 1500 : état de la question », dans Art et société à Tours au début de la Renaissance, actes du colloque du 10 mai au 12 mai 2012), Boudon-Machuel Marion, Charron Pascale (dir.), Turnhout, Brepols, 2016, p. 161-172.
Renumar, 19 janvier 1501.


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