Le Portrait de Guillaume Jouvenel des Ursins est l’un des rares portraits peints sur bois du XVe siècle. Il est l’œuvre du Tourangeau Jean Fouquet, l’un des peintres les plus renommés de la fin du Moyen Âge et habile portraitiste.
Jean Fouquet et l’art du portrait
Dans le Trattato di architettura (v. 1461-1465), le sculpteur florentin Filarete évoque le portrait du pape Eugène IV accompagné de deux de ses proches réalisé par Fouquet au cours d’un séjour en Italie dans les années 1440 (œuvre disparue). Selon l’auteur, les trois modèles étaient dessinés « d’après nature », ce qui faisait du Tourangeau un « bon maître » [Jean Fouquet, 2003, doc. II 1, p. 420]. Plus tard, le dominicain Francesco Florio, de passage à Tours vers 1470, reconnaît à Fouquet cette capacité à représenter « des figures vivantes » [Jean Fouquet, 2003, doc. II 2, p. 421], qualité qui lui permet de surpasser tous les peintres de son temps, mais également tous les Anciens. En France, le peintre mit ses talents de portraitiste au service des hauts dignitaires du royaume et son apport dans ce domaine fut particulièrement important. Dans le Portrait de Charles VII, il élabora un modèle d’effigie royale qui servait encore de référence à Jean Clouet lorsque celui-ci exécuta le Portrait de François Ier vers 1525.
Jean Fouquet travailla pour des commanditaires prestigieux, notamment pour deux rois, Charles VII et Louis XI, pour des officiers royaux ou pour de puissants ecclésiastiques. Soucieux d’afficher leur piété, ils se faisaient représenter en prière devant une image de dévotion dans de précieux livres d’heures ou dans des retables. Les portraits n’étaient en effet pas destinés à être des œuvres autonomes (à l’exception des portraits royaux) comme ils le seront au XVe et au XVIIe siècles. Des commanditaires qui apparaissent dans les trois tableaux d’autel de Fouquet, seul le chanoine de la Pietà de Nouans reste anonyme. Les deux autres, Étienne Chevalier (v. 1410-1474) et Guillaume Jouvenel des Ursins (1401-1472), furent des personnalités influentes, proches des cercles du pouvoir. Baron de Traînel, Guillaume Jouvenel remplit plusieurs charges jusqu’à ce que Charles VII, qui l’avait adoubé lors de son sacre en 1429, le nommât chancelier de France en 1445. Il fut disgracié en 1461 par Louis XI qui le rétablit toutefois dans ses charges en 1465.
La fonction du portrait de Guillaume Jouvenel des Ursins
Le tableau du Louvre, dont on connaît un dessin préparatoire conservé au Staatliche Museen de Berlin [cat. expo. 2003 cat. 6], cas unique pour un portrait français du XVe siècle [cat. expo. 2003, p. 114], appartenait probablement à un ensemble plus complexe, à un diptyque, à la manière du Retable de Melun peint par Fouquet vers 1455, voire à un triptyque. En effet, la position de Guillaume Jouvenel laisse à penser qu’il faisait face à une image de dévotion, vraisemblablement une Vierge à l’Enfant, et que sa femme, Geneviève Héron, était disposée en pendant dans la même attitude, de l’autre côté du panneau central. La destination initiale du retable demeure inconnue. Toutefois, plusieurs possibilités ont été proposées : il pourrait avoir été commandé pour la chapelle des Ursins dans la cathédrale Notre-Dame de Paris où Guillaume fut inhumé, ou pour la cathédrale Saint-Gatien de Tours qui accueillit la sépulture de sa femme. L’œuvre serait ainsi un témoignage du lien qu’entretenait la puissante famille avec Tours où elle possédait un hôtel rue de la Scellerie.
Dans cette huile sur bois, datée vers 1460-1465, le commanditaire est peint de trois-quarts, tourné vers la droite, les mains jointes, devant un prie-dieu sur lequel repose un livre ouvert. Il est vêtu d’un ample manteau de velours cramoisi doublé de fourrure et il porte à la taille une bourse suspendue par une large boucle dorée. Il se dresse devant un fond architectural doré, composé de pilastres délimitant des cadres garnis de plaques de marbre noir et supportant une architrave. L’ornement y est riche : les bandes de l’architrave alternent entre différents motifs décoratifs et les cadres des plaques de marbre sont ornés de rinceaux végétaux sur lesquels prennent place des ours. Les plantigrades, qui sont également présents dans les chapiteaux des pilastres de chaque côté d’un écusson du commanditaire, évoquent, à la manière d’armoiries parlantes, le nom de famille du Chancelier. Cette exaltation de la lignée ainsi que la silhouette monumentale du modèle, contribuent à donner de Guillaume Jouvenel des Ursins l’image d’un homme au faîte de sa réussite et jouissant d’une certaine puissance.
Le Portrait de Guillaume Jouvenel est une œuvre précieuse à plus d’un titre. Rare vestige de la production sur bois de Jean Fouquet, il témoigne à la fois de son talent de portraitiste, mais également des mentalités religieuses de son époque.
Bibliographie
Avril François (dir.), Jean Fouquet, peintre et enlumineur du XVe siècle, catalogue de l’exposition de la BnF du 25 mars au 22 juin 2003, Paris, BnF, Hazan, 2010, cat. 5.