Le diptyque de Melun

Auteur(s) :

Fouquet, Jean

Commanditaire(s) :

Chevalier, Étienne

Date(s) :

Vers 1452-1455

Dimension(s) :

L : 85cm / H : 94cm

Techniques / Matériaux :

Huile sur bois (chêne)

Lieu de conservation :

Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten / Berlin, Staatliche Museen, Gemäldegalerie

Diptyque de Melun, Jean Fouquet, v. 1452-1455, huile sur bois (chêne), 94 x 85 cm.
Panneau gauche : Étienne Chevalier présenté par saint Étienne Saint Berlin, Staatliche Museen, Gemäldegalerie, Ident.Nr.1617.
Crédits : © Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin, cliché Jörg P. Anders.
Panneau droit : Vierge et l’Enfant entourés d’anges, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Anvers.
Crédits : Photo © Collection KMSKA – Communauté flamande

Le Diptyque de Melun est composé de deux volets aujourd’hui dispersés entre Anvers et Berlin. Il était ceint à l’origine d’un cadre de velours bleu brodé d’or, d’argent et de perles et orné de médaillons de cuivre émaillés d’or dont un seul exemplaire est aujourd’hui conservé (Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art). Cette œuvre majeure de la peinture tourangelle a été commandée à Jean Fouquet par Étienne Chevalier (v. 1410-1474) entre les années 1452 et 1455. Originaire de Melun et d’extraction bourgeoise, celui-ci mena une brillante carrière au service des rois Charles VII et Louis XI. Successivement secrétaire du roi, maître de la Chambre des comptes puis contrôleur des recettes, Étienne Chevalier fut nommé Trésorier de France en 1452. Il fut également l’un des membres du conseil royal jusqu’à sa mort en 1474. Sa proximité avec Charles VII est attestée par le fait qu’il fut l’exécuteur testamentaire de sa maîtresse, Agnès Sorel (†1450), puis celui du souverain lui-même. Le diptyque était destiné à la collégiale Notre-Dame de Melun dans laquelle il fut conservé jusqu’en 1773, date de son démembrement. Il accompagnait la sépulture d’Étienne Chevalier et celle de son épouse Catherine Budé, morte en 1452.

Le volet droit représente la Vierge à l’Enfant trônant entourée de séraphins (rouge) et de chérubins (bleu). Parée d’une couronne ornée de pierreries et de perles et d’un long manteau blanc doublé d’hermine, Marie, les yeux baissés vers l’Enfant, est serrée dans une étroite robe grise dont le corsage en partie délacé dévoile un sein à la rondeur parfaite. Jésus aux jambes couvertes d’un voile transparent est tourné vers le panneau de gauche. Il regarde et pointe du doigt Étienne Chevalier en prière accompagné de son saint patron, le saint martyr Étienne. Celui-ci, la main droite posée sur l’épaule du commanditaire, tient de la gauche un livre à la couverture rouge et clôt par deux fermoirs d’or sur lequel est posé une pierre aux arêtes tranchantes, instrument de son martyre. La lapidation du saint, ainsi rappelée, est à nouveau évoquée par les gouttes de sang qui coulent de son crâne jusqu’à l’intérieur de son col.

Les deux volets frappent par leurs différences tant dans le traitement de l’espace que des volumes. La Vierge et l’Enfant aux corps d’une blancheur immaculée semblent être taillés dans du marbre alors que les séraphins paraissent en bois laqué de rouge tant leur surface est luisante. Cette irréalité des corps est accompagnée par une absence d’espace puisque le fond du panneau est uniformément bleu et que toute sa surface est occupée par les différents personnages. Jean Fouquet évoque ainsi un lieu divin, hors du temps et de la spatialité terrestre. Sur le volet gauche Étienne Chevalier et saint Étienne se tiennent au contraire dans une architecture à échelle humaine construite suivant les règles de la perspective mise au point en Italie, où Fouquet séjourna dans les années 1440 [Avril 2003, p. 126-127], et exploitant le vocabulaire à l’antique (placage de marbre, décor de feuilles d’acanthe) de la première Renaissance florentine. Les deux panneaux sont toutefois unifiés par l’attention que porte Jean Fouquet au rendu des différents matériaux (marbre, onyx) et des matières (tissus, brocards, perles) et par la lumière qui, comme le révèle la fenêtre qui se reflète dans les boules d’onyx du trône, provient de la gauche de l’œuvre.

La singularité de la Vierge à l’Enfant, dont le type physique fut repris tant en peinture qu’en sculpture dans les années qui suivirent, tient également au fait que ses traits évoquent ceux d’Agnès Sorel, la maîtresse royale dont Étienne Chevalier était l’un des proches. L’œuvre est donc, en plus d’un traditionnel diptyque de dévotion, un hommage plus personnel du commanditaire faisant peut-être écho à la commande par le roi en 1450 de deux splendides tombeaux en l’honneur de la dame de Beauté à l’abbaye de Jumièges et à Notre-Dame de Loches [Avril 2003, p. 129].

 


 

Autoportrait de Jean Fouquet
Dimensions : 7,50 cm (diam. avec cadre)
Matériaux : cuivre, émail bleu sombre et doré
Inscription : Joh[ann]es Fouquet
Lieu de conservation : Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art

 

Médaillon : autoportrait de Jean Fouquet, Jean Fouquet, v. 1452-1455, émail peint, ø 7,5 cm, Paris, musée du Louvre, Département des Objets d’art du Moyen Âge, de la Renaissance et des temps modernes, 0A 56.
Crédits : Photo © 2017 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

 

Saint Étienne présenté par saint Étienne à la Vierge et à l’Enfant, Jean Fouquet, v. 1452-1461, peinture sur parchemin extraite du Livre d’Heures d’Étienne Chevalier, 21 x 15 cm, Chantilly, Musée Condé, Ms 71, f°4r°.
Crédits : Photo © Web Gallery of Art

Denis Godefroy, historiographe de Charles VII, signalait en 1661 que le diptyque de Melun comportait des « bordures […] couvertes en dedans de velours bleu, orné et enrichy tout autour de quantité de grands lacz d’amour à l’antique separez d’une esgale distance l’un de l’autre et tissés d’une petite broderie d’or et d’argent dans chaque côté desdits lacs est une grande E, aussi à l’antique, tout couvert de petites perles fines, et entre ces lacs d’amour sont des médailles d’argent doré de moyenne grandeur représentant quelque histoire sainte et dont les personnages sont peints admirablement bien » [Avril 2003, p. 133]. Les lacs d’amour avec l’initiale E sont des figures héraldiques d’Étienne Chevalier, le commanditaire du tableau, qui sont également présentes en nombre dans le livre d’heures que ce dernier commanda à Jean Fouquet entre 1452 et 1460. À la fin du XIXe siècle, deux médaillons de cuivre émaillé d’or furent identifiés comme appartenant à ces « médailles » du cadre du diptyque : l’un figurant l’autoportrait de Jean Fouquet est conservé au Louvre, le second, une scène de la vie de saint Étienne qui était conservé à Berlin fut détruit en 1945 [Avril, 2003, p.132].

Jean Fouquet s’est représenté en buste, les épaules de face, le visage de trois-quarts et le regard frontal. Coiffé d’un simple bonnet rond duquel sortent quelques mèches de la frange coupée court, comme il était d’usage pour les coiffures masculines au milieu du XVe siècle, le peintre est vêtu d’un simple pourpoint. Se détachant en camaïeu d’or sur un fond bleu sombre, le volume du visage est modelé par la lumière provenant de la droite, comme sur le diptyque. L’artiste a inscrit son patronyme en grandes capitales romaines, le prénom sous une forme latine, signant ainsi son œuvre et fixant la mémoire de son visage pour la postérité.

L’insertion de médaillons dans le cadre d’un tableau ou dans une œuvre d’orfèvrerie comme un reliquaire était une pratique courante en Italie : les bustes de saints étaient souvent introduits dans les marges des retables comme l’attestent des Maestà de Cimabue et de Duccio. Par ailleurs, Fouquet, qui avait travaillé à Florence et à Rome dans les années 1440, avait pu admirer les autoportraits que l’orfèvre Ghiberti et que l’architecte Filarete avaient intégrés dans les œuvres qui avaient fait leur renommée, à savoir respectivement la porte nord et sud du baptistère San Giovanni de Florence (1403-1424 et 1425-1452) et les portes en bronze de Saint-Pierre de Rome (1433-1445) pour le second.

 

Bibliographie

France 1500. Entre Moyen Âge et Renaissance, catalogue de l’exposition du Grand Palais de Paris du 6 octobre 2010 au 10 janvier 2011, Paris, éditions de la RMN, 2010, cat. 13.
Avril François (dir.), Jean Fouquet, peintre et enlumineur du XVe siècle, catalogue de l’exposition de la BnF du 25 mars au 22 juin 2003, Paris, BnF, Hazan, 2003, cat. 7 et 8.