En 1499, Anne de Bretagne, qui était devenu pour la seconde fois reine de France après son mariage avec Louis XII, décida de faire ériger des monuments funéraires destinés à ses parents François II de Bretagne (mort en 1488) et Marguerite de Foix (morte en 1486), à son défunt mari le roi Charles VIII (décédé en 1498) et aux deux enfants nés de leur union, Charles-Orland et Charles (morts en 1495 et 1496) [Bardati, 2013, doc. 4]. Par cette triple commande, la reine cherchait à honorer la mémoire de ses proches mais également à conforter sa place au sein de deux lignées prestigieuses, place qui lui était conférée par son statut d’héritière du duché de Bretagne, d’épouse d’un roi de France et de mère des dauphins.
À l’hiver 1499-1500, le tailleur de pierre fiesolan Jérôme Pacherot et Guillaume de Beaune, l’un des fils Jacques de Beaune, furent envoyés en Italie pour procéder à l’achat des marbres nécessaires à la réalisation de ces trois projets. Le tombeau de Charles VIII qui devait être installé dans l’abbatiale de Saint-Denis fut confié au sculpteur italien Guido Mazzoni. Les deux autres furent pris en charge par un groupe de sculpteurs dont la composition nous est dévoilée par Jean Perréal dans une lettre de 1511. Michel Colombe, qui recevait une rétribution plus élevée que ses collaborateurs, était à la tête du chantier. Il était assisté de deux sculpteurs et de « deux tailleurs de massonerie entique italiens » dont certainement Pacherot. Le travail débuta en 1502 et se déroula entièrement à Tours. En 1507, le tombeau des parents d’Anne fut installé dans la chapelle Notre-Dame de l’église des Carmes de Nantes alors que le tombeau des enfants avait été érigé à Saint-Martin de Tours quelques mois auparavant. Le monument nantais fut démonté à la Révolution et reconstruit dans la cathédrale en 1817.
Le tombeau de François II et de Marguerite de Foix se présente sous la forme d’un massif rectangulaire qui fait office de lit funéraire pour les époux. Ceux-ci, vêtus de costumes d’apparat et parés de leur couronne, reposent sereinement, les mains jointes et les yeux fermés. Trois anges soutiennent des coussins à leur tête alors qu’un chien et un lion, qui enserrent des blasons entre leurs pattes, sont couchés à leurs pieds. Le félin, le roi des animaux, évoque la force et la noblesse de François et le lévrier symbolise la fidélité et la loyauté de Marguerite qui était par ailleurs connue, tout comme sa fille, pour apprécier la compagnie de cette race de chiens [Santrot, 2018, p. 306]. Deux registres délimités par un bandeau de pierre noire se superposent sur les faces du sarcophage. Dans le registre supérieur, des statuettes de saints (sur les petits côtés) et d’apôtres (sur les longs côtés) se dressent dans des niches garnies de marbre rouge et intégrées à un cadre architectural à l’antique. Au-dessous, des médaillons ornés de coquilles reçoivent des pleurants vêtus d’épais manteaux noirs à capuche. Aux angles, les quatre figures féminines habillées de façon sophistiquée et parées de coiffures élaborées sont des allégories des Vertus cardinales, la Prudence, la Tempérance, la Force et la Justice. Dans sa lettre de 1511, Perréal affirme que la polychromie des marbre blanc, noir et rouge était rehaussée de touches d’or dont il ne reste aucune trace aujourd’hui.
Le style des différentes parties reflète la contribution de chaque intervenant. Les gisants et les anges, fidèles à la tradition funéraire française, et les Vertus et les saints, desquels émanent équilibre et retenue, ont été exécutés par l’atelier de Colombe. Le soubassement, qui associe des formes architecturales à l’antique (niches en plein cintre, voûtes à caisson et pilastres composites) et un vocabulaire ornemental moderne (Candélabre, rinceaux végétaux, Bucrane, oves et dards), a été sculpté par les ouvriers italiens. La répartition du travail fut d’ailleurs identique sur le tombeau des enfants d’Anne de Bretagne. Certains choix iconographiques comme celui des Vertus sont inhabituels à cette époque en France pour un tombeau princier, mais ils ne l’étaient pas en Italie. Jean Perréal, qui séjourna dans la Péninsule, affirme dans sa lettre de 1511 avoir pris une part active dans l’élaboration du projet. Il faut sans doute lui attribuer l’origine des quatre statues féminines, dont l’intégration au reste de l’œuvre est malhabile et sans lien évident, erreur que n’aurait pas commise un sculpteur aguerri comme Colombe.
Le tombeau des ducs de Bretagne, qui propose un programme iconographique riche conçu autour d’éléments héraldiques et symboliques complexes, était destiné à asseoir le rôle politique et dynastique d’Anne de Bretagne. Point de rencontre entre l’art français et italien et œuvre majeure de la première Renaissance, le monument demeure l’ouvrage qui témoigne le mieux de la manière de Michel Colombe.
Bibliographie
Bardati Flaminia, Mozzati Tommaso, « Jérôme Pacherot et Antoine Juste : artistes italiens à la cour de France », Studiolo, 9, 2013, p. 209-254.
Chancel-Bardelot Béatrice de, Charron Pascale, Girault Pierre-Gilles, Guillouët Jean-Marie (dir.), Tours 1500. Capitale des arts, catalogue d’exposition au musée des Beaux-Arts de Tours du 17 mars au 17 juin 2012, Paris, Somogy, 2012, cat. 51 (notice de Jean-Marie Guillouët).
Jestaz Bertrand, « Le Tombeau de François II de Bretagne à Nantes », 303, Recherches et créations, XVIII, 1988, p. 46-55.
Santrot Jacques, « À Nantes, le tombeau des parents d’Anne de Bretagne, le duc François II et Marguerite de Foix », dans Des Tombeaux et des dieux, actes du colloque de la Villa Kérylos du 12 et 13 octobre 2018, Paris, Diffusion de Boccard, 2019, p. 265-359.