Tombeau de Louis XII et Anne de Bretagne

Auteur(s) :

Juste, Antoine ; Juste, Jean ; Juste, Juste de? ; Pacherot, Jérôme?

Commanditaire(s) :

François Ier

Date(s) :

1516-1531

Dimension(s) :

Techniques / Matériaux :

Marbre

Lieu de conservation :

Saint-Denis, Basilique

Tombeau de Louis XII et Anne de Bretagne, Jean, Antoine et Juste Juste, Jérôme Pacherot?, 1516-1531, marbre, Saint-Denis, Basilique.
Crédits : Photo © Myrabella / Wikimedia. Licence : CC BY-SA 3.0

Le tombeau de Louis XII et d’Anne de Bretagne fut commandé en 1516 par le roi François Ier aux Juste, des sculpteurs toscans résidant en Touraine [Bardati, 2012, p. 174]. En 1531, une fois l’œuvre terminée, elle fut mise en place dans la basilique Saint-Denis où elle demeura pendant plus de deux cent cinquante ans. À la Révolution, elle fut démantelée et transportée au musée des Monuments français. Elle fut réinstallée dans la basilique en 1816 mais il n’y retrouva son emplacement initial qu’en 1846 [Bardati, 2013, p. 221].

 

Une collaboration entre plusieurs artistes

En août 1516, Antoine Juste fut envoyé en Toscane pour acheter le marbre nécessaire à la réalisation du projet [Bardati, 2013, doc 16.1]. Les travaux commencèrent à Amboise où résidait le sculpteur. À sa mort en 1518, le chantier fut transféré à Tours, dans l’atelier de son frère Jean, qui était alors imagier du roi. Il fut probablement secondé par Jérôme Pacherot et par Juste, le fils d’Antoine, qui étaient présents dans la cité ligérienne en 1521. Toutefois, la collaboration de Juste fut de courte durée, l’oncle et le neveu rompant toutes activités professionnelles communes en juillet 1521 [Renumar, 1er juillet 1521].

En 1525, Jean Juste était en association avec Pierre de Brinbal (ou Brimbal) pour la réalisation  d’un groupe en terre cuite de la Mise au tombeau destiné à la cathédrale du Mans. Les deux artistes s’associèrent à cette occasion à André, le benjamin de la famille Juste [Renumar, 9 juin 1525]. Pierre de Brinbal, dit Chevrier, était le fils de Jehan Chevrier, un maître-maçon tourangeau, et résidait dans la paroisse Saint-Vincent en 1522 [Giraudet, 1885, p. 70]. En 1525, il demeurait toujours à Tours mais, quelques années plus tard, il s’installa à Paris, dans la rue Saint-Denis et il prit le titre d’imagier du roi [arch. de l’art français, 1852]. Il collabora avec deux autres sculpteurs au tombeau de la mère Jean Pot de Chemault et en 1534, il reçut 50 écus de la part de François Ier pour un bas-relief en marbre comportant une histoire avec « plusieurs personnages » et sur lequel il travaillait « depuys ung an ou environ » [Lami, 1898, p. 95]. En 1552, il accueillit chez lui son ami, le sculpteur du roi Jean Goujon, qui était en proie à des problèmes judiciaires [Association Humaniste et Renaissance, 1942, p. 185]. Enfin, il reçut (en 1539 ou 1550 ?) la commande d’une Mise au tombeau destinée à l’église des Cordeliers de Paris [La sculpture religieuse entre Chartres…, 2020, p. 159]. La présence auprès de Jean Juste de cet artiste, qui maîtrisait le modelage de la terre cuite [Leproux, 2005, p. 58], la taille du marbre et peut-être même la fonte [Société des amis des monuments parisiens, 1888, p. 58], soulève la question de sa participation au chantier du tombeau de Louis XII.

En 1531, le monument était terminé et Jean se chargea de son transfert sur la Loire et de sa mise en place dans la basilique de Saint-Denis [Bardati, 2013, p. 224]. En 1532, l’œuvre était complètement achevée et installée dans le bras nord comme en témoigne une élégie du poète néerlandais Jean Second.

 

L’apport des frères Juste à l’art funéraire français

Le mausolée, dans lequel la sculpture tient un rôle majeur, se présente sous la forme d’une  structure architecturale à l’antique posée sur un haut soubassement dont les quatre faces sont ornées des bas-reliefs illustrant plusieurs faits militaires du roi : la Bataille d’Agnadel, la Reddition du général vénitien Bartolomeo d’Agliano, l’Entrée triomphante à Milan et le Passage des Alpes à Gênes. Les Vertus cardinales, la Tempérance, la Justice, la Prudence et la Force, assises aux angles du catafalque et les apôtres, sculptés dans des positions variées sous les arcades du portique, évoquent un autre tombeau intimement lié à Anne de Bretagne, celui de ses parents, qui était alors à l’église des Carmes de Nantes.

L’image du couple royal est répétée deux fois, choix original qui connaîtra une longue postérité. Les transis, qui reposent nus sur un cercueil installé sous le portique, sont raidis par la mort, ce qui provoquent un effet saisissant. Au-dessus, les époux, initialement disposés l’un derrière l’autre, sont représentés agenouillés, les mains jointes devant des prie-Dieu, en habit royal. Le contraste entre les deux groupes est tout à fait éloquent. Toutefois, leur fonction n’était pas la même puisqu’ils n’étaient pas destinés à être vus de la même façon. Les gisants sont en grande partie soustraits aux regards par le portique et sont à peine visibles dans la pénombre. Alors qu’un visiteur ne peut que deviner les dépouilles, seul Dieu, en observateur omniscient, peut contempler le roi et la reine dans la réalité crue de la mort. En revanche, c’est l’image de souverains puissants et pieux que renvoient les imposantes effigies qui dominent depuis le sommet du monument tout l’espace environnant.

Les différentes mains sont difficiles à différencier, d’autant plus que le nombre et l’identité des intervenants restent problématiques [Bardati, 2013, note 153]. La critique est partagée. Faut-il attribuer certaines parties, notamment les priants et les gisants, à des sculpteurs français comme Guillaume Regnault, l’un des collaborateurs de Michel Colombe, ou faut-il y voir une œuvre entièrement italienne? Antoine Juste, qui avait déjà réalisé en 1508 un bas-relief de la Prise de Gênes, dut certainement être l’auteur des quatre panneaux du soubassement. Les candélabres des pilastres rappellent ceux que Jérôme Pacherot sculpta sur le tombeau des ducs de Bretagne à Nantes et dans le décor de chapelle haute de Gaillon [Bardati, 2013, p. 224]. Le reste demeure difficilement attribuable dans la mesure où l’art de Jean et d’André est mal connu.

Tombeau de Gian Galeazzo Visconti, Giovan Cristoforo Romano, v. 1490, marbre, Pavie, Chartreuse.
Crédits : Photo © Web Gallery of Art

Le tombeau tient une place importante dans l’histoire de l’art de la Renaissance française : en effet, la conception était tout à fait novatrice pour l’époque et trouvait ses sources à la fois dans le monument de Gian Galeazzo Visconti (duc de Milan dont descendait Louis XII) à la chartreuse de Pavie (1497) et dans le projet pour le monument Trivulzio élaboré par Léonard. Le vieux maître qui résidait à Amboise depuis 1516 dut probablement rencontrer les frères Juste. C’est ce que laissent supposer les statues de Tempérance et de la Prudence qui, avec leur sourire aimable, rappellent certaines figures féminines de Léonard, notamment celles du tableau de La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne (musée du Louvre) qu’il avait apporté avec lui en France. Les Vertus, assises sur le rebord du soubassement, avec une jambe plus haute que l’autre et la tête tournée vers le côté, évoque la figure de Pomone dans l’un des tableaux de Francesco Melzi (Vertumne et Pomone, Berlin, Staatliche Museen), l’un des élèves de Léonard qui avait également fait le voyage en France.

 

 

Avec le Tombeau de Louis XII et d’Anne de Bretagne, les Juste instaurèrent un modèle de mausolée royal monumental à double niveau qui connut une longue postérité. Les sépultures de François Ier et Henri II, qui furent installées à quelques pas dans la basilique Saint-Denis, y font directement écho.

 

Bibliographie

Association Humanisme et Renaissance, Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance : travaux et documents, Paris, Droz, 1942.
Bardati Flaminia, Mozzati Tommaso, « Des collines florentines à Tours : Antoine Juste et sa famille », dans Marion Boudon-Machuel (dir), La sculpture française du XVIe siècle, Marseilles, Le Bec en l’air, 2012, p. 167-181.
Bardati Flaminia, Mozzati Tommaso, « Jérôme Pacherot et Antoine Juste : artistes italiens à la cour de France », Studiolo, 9, 2013, p. 209-254.
Boudon-Machuel Marion, « Antoine, Jean et André Juste à Tours », dans Chancel-Bardelot Béatrice de, Charron Pascale, Girault Pierre-Gilles, Guilloüet Jean-Marie (dir.), Tours 1500. Capitale des arts, catalogue d’exposition au musée des Beaux-Arts de Tours du 17 mars au 17 juin 2012, Paris, Somogy, 2012, p. 197-199.
Lami Stanislas, Dictionnaire des sculpteurs de l’École française du moyen âge au règne de Louis XIV, Paris, 1898.
Leprous Guy-Michel, Les artistes étrangers à Paris de la fin du Moyen Age aux années 1920, Actes des journées d’études organisées par le Centre André Chastel les 15 et 16 décembre 2005, Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, Peter Lang, 2007.
Société des amis des monuments parisiens, Bulletin de la Société des Amis des Monuments Parisiens, vol. 2, Paris, Charles Normand, 1888.


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