Retable du Liget

Auteur(s) :

Poyer, Jean

Commanditaire(s) :

Béraud, Jean, prieur de la Chartreuse du Liget (1483-1490)

Date(s) :

1485

Dimension(s) :

L : 283cm / H : 143cm

Techniques / Matériaux :

Huile sur bois (chêne)

Lieu de conservation :

Loches, Galerie Antonine

Retable du Liget, Jean Poyer, 1485, huile sur bois (chêne), 143 x 283 cm, Loches, Galerie Antonine, extrait de Béatrice de Chancel-Bardelot, Pierre-Gilles Girault, Jean-Marie Guillouët, Pascale Charron (dir.), Tours 1500. Capitale des arts, catalogue d’exposition au musée des Beaux-Arts de Tours du 17 mars au 17 juin 2012, Paris, Somogy, 2012.

Jusqu’à la récente attribution du Triptyque de la Madeleine (Censeau et Lons-le-Saunier), le Retable du Liget était considéré comme l’unique témoignage de la production de tableaux d’autel de Jean Poyer, l’un des principaux peintres tourangeaux de la seconde moitié du XVe siècle.

 

L’œuvre est un triptyque composé d’un panneau central représentant la Crucifixion et de deux panneaux latéraux non mobiles illustrant le Portement de croix à gauche et la Mise au tombeau à droite. La date inscrite en chiffres romains aux pieds du Christ (M.CCCC.LXXX.V soit 1485) dans le Portement permet de situer précisément le retable dans la carrière de Poyer. Les lettres « F.I.B » peintes en lettres dorées dans la Mise au tombeau ont un temps été interprétées comme la signature de Bourdichon (Fecit Johannes Bourdichon). Elles sont en réalité les initiales du frère Jean Béraud (Frater Ioannis Beraudi), le donateur, figuré agenouillé avec les mains jointes à côté du sépulcre [Tours 1500, cat. 62]. Entre 1483 et 1490, Béraud fut prieur de la chartreuse du Liget située non loin de Loches où le retable fut déplacé en 1791. Cette identification permet de comprendre la place particulière accordée à saint Jean, le saint patron du commanditaire, dans la Mise au tombeau. En effet, il est rare de trouver le saint isolé, à côté de la dépouille du Christ, place habituellement dévolue à la Vierge, ici mise à l’écart au deuxième plan.

L’artiste a su rendre la composition cohérente en dépit de la nature tripartite du retable. Chaque scène se déroule dans un lieu différent. Pourtant, la ligne d’horizon se prolonge d’un épisode à l’autre, ce qui a pour effet de créer un lien visuel entre eux. Le bleu du ciel et le vert de l’herbe qui s’assombrit dans le lointain permettent aussi d’harmoniser l’ensemble. Dans les panneaux latéraux, la couleur participe également à créer ce sentiment d’unité : le jaune, le rouge, le mauve, le vert et le bleu nuit se répondent d’une scène à l’autre à travers les vêtements des différents protagonistes.

L’attribution du tableau a longtemps fait débat. Après que le nom de Fouquet fut écarté (il était déjà mort en 1485), le tableau a été mis en relation avec les Heures Briçonnet (Haarlem, Teylers Museum) [Avril, Reynaud, Les manuscrits à peinture, 1993, p. 309], que l’on considère comme l’oeuvre la plus précoce dans le corpus de Poyer. Le Retable du Liget possède de nombreuses caractéristiques fouquettiennes, ce qui fit longtemps hésiter les spécialistes quant à son auteur.

La Crucifixion, Jean Fouquet, v. 1452-1461, peinture sur parchemin extraite du Livre d’Heures d’Étienne Chevalier, 21 x 15 cm, Chantilly, Musée Condé, Ms 71, f°17r°.
Crédits : Photo © RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda

Le Portement de croix trouve ses sources dans les Heures Chevalier, tout comme la Crucifixion, dans laquelle Poyer reprend le motif du cheval vu de dos que Fouquet appréciait tant. Les paysages lointains scandés par des collines et des éperons rocheux, où les villes fortifiées sont rendues avec une grande minutie, doivent également beaucoup aux miniatures du maître tourangeau.

L’artiste introduit cependant plusieurs nouveautés, tant sur le plan iconographique qu’artistique. Sur le plan iconographique d’abord, la quatrième croix brisée et posée par terre au premier plan de la Crucifixion est un détail inédit et pourtant riche de sens. L’objet du supplice, par sa disposition, rappelle le corps inerte de la Vierge qui, étendue sur le sol, vit autant que son fils le martyre et la douleur [Tours 1500, p. 282]. Sur le plan artistique, Poyer s’écarte des modèles fouquettiens pour certains éléments. La position de Marie légèrement couchée sur le côté droit, la tête renversée sur les genoux d’une sainte femme qui pose avec inquiétudes les mains sur sa coiffe, évoque une gravure d’un Mise au tombeau (avant 1478, Paris, musée du Louvre) exécutée par le peintre italien Andrea Mantegna.

 

La Mise au Tombeau, Andrea Mantegna, avant 1478, gravure, 33,3 x 47 cm, Paris, Musée du Louvre, Département des Arts graphiques, 3841 LR/ Recto.
Crédits : Photo © Musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais – Photo M. Beck-Coppola

 

La qualité du Retable du Liget lui confère une place à part dans l’histoire de l’art du début de la Renaissance. Il est à la fois l’un des seuls tableaux d’autel de Jean Poyer, mais également, avec la Pietà de Nouans de Jean Fouquet, l’un des rares témoignages de la peinture religieuse française de la fin du XVe siècle.

 

Bibliographie

Chancel-Bardelot Béatrice de, Charron Pascale, Girault Pierre-Gilles, Guillouët Jean-Marie, (dir.), Tours 1500. Capitale des arts, catalogue d’exposition au musée des Beaux-Arts de Tours du 17 mars au 17 juin 2012, Paris, Somogy, 2012 (cat. 62).
Hearne Michelle, Voelkle William, Wieck Roger, The Hours of Henry VIII, A Renaissance masterpiece by Jean Poyet, New York, George Braziller, The Pierpont Morgan Library,  2000, p. 23-24.


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