Heures Chevalier

Auteur(s) :

Fouquet, Jean

Commanditaire(s) :

Chevalier, Étienne

Date(s) :

v. 1452-1461

Dimension(s) :

Techniques / Matériaux :

Peinture sur parchemin

Lieu de conservation :

Chantilly, Musée Condé

Étienne présenté par saint Étienne à la Vierge et à l’Enfant, Jean Fouquet, v. 1452-1461, peinture sur parchemin extraite du Livre d’Heures d’Étienne Chevalier, 21 x 15 cm, Chantilly, Musée Condé, Ms 71, f°4r°.
Crédits : Photo © Web Gallery of Art

Le Livre d’Heures d’Étienne Chevalier est une œuvre maîtresse du peintre tourangeau Jean Fouquet. Le manuscrit, resté pendant une longue période en possession de la famille du commanditaire, fut démembré au XVIIe siècle puis dispersé. Sur les quarante-sept feuillets subsistant, quarante sont conservés au musée Condé de Chantilly. Ils ont été achetés en 1891 à la famille Brentano par Henri d’Orléans, duc d’Aumale, grand collectionneur d’art et alors propriétaire du château de Chantilly. Les autres feuillets appartiennent à de nombreuses institutions à travers le monde. Les miniatures de Chantilly ont été montées au XVIIIe siècle sur des plaquettes en bois, le texte a été dissimulé, et les enluminures transformées ainsi en de petits tableaux.

 

Un commanditaire prestigieux

D’abord secrétaire du roi, puis maître de la Chambre des comptes et contrôleur des recettes, Étienne Chevalier (v. 1410-1474) fut nommé Trésorier de France en 1452, titre qu’il garda jusqu’à la fin de sa vie. Il commanda deux œuvres à Jean Fouquet, un  diptyque pour sa chapelle funéraire de la collégiale Notre-Dame de Melun (v. 1452-1455) et un livre d’Heures richement enluminé (v. 1452-1461). Le manuscrit comprend deux portraits du commanditaire. Le premier est peint en double page. Il représente Étienne Chevalier accompagné de saint Étienne devant une Vierge à l’Enfant dans une composition très proche de celle du diptyque de Melun.

 

 

Le second montre le Trésorier agenouillé au pied du tombeau, contemplant la dépouille du Christ, dans la miniature de l’Embaumement du Christ. Le nom et le monogramme du commanditaire (des lacs d’amour accompagnés de deux E) sont peints à plusieurs reprises dans le volume. Aucune allusion n’est en revanche faite à Catherine Budé, l’épouse d’Étienne Chevalier, ce qui invite à penser que la commande fut passée après sa mort survenue en 1452. L’un des rois de l’Adoration des Mages possède en outre les traits du roi Charles VII, qui s’éteignit en 1461, date considérée comme le terminus ad quem de l’œuvre.

 

La rencontre de deux cultures

La place des images dans le manuscrit est tout à fait nouvelle. Fouquet abandonne en effet les vignettes de petit format aux profits miniatures à pleine page afin de disposer d’une surface plus importante.

La Visitation, Jean Fouquet, v. 1452-1461, peinture sur parchemin extraite du Livre d’Heures d’Étienne Chevalier, 21 x 15 cm, Chantilly, Musée Condé, Ms 71, f°7.
Crédits : Photo © RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda

Les Heures Chevalier furent enluminées peu de temps après le séjour du peintre en Italie, alors que ses souvenirs étaient encore vifs, comme en témoigne l’emploi d’un vocabulaire architectural et décoratif à l’antique. Ainsi dans la Visitation, les colonnes corinthiennes et l’entablement saillant du portique évoquent les édifices et les ruines qu’il avait pu étudier dans la Péninsule. La construction de l’espace et de la profondeur à partir des lignes du dallage et des bâtiments démontre qu’il maîtrisait parfaitement les règles de la perspective géométrique développées par des maîtres toscans. D’autres éléments sont également tributaires de son expérience italienne. Les chevaux peints dans des positions variées, voire de dos (Saint Paul), rappellent les dessins de Pisanello ou les scènes de bataille de Paolo Uccello (La Bataille de San Romano, Paris Musée du Louvre, v. 1438). Les couleurs lumineuses et harmonieuses font quant à elles songer aux fresques de Fra Angelico avec qui Fouquet aurait travaillé à Florence à la fin des années 1440 [Santoro, cat. expo. 2003].

 

 

Dans les miniatures, Fouquet a su articuler des éléments italianisants et d’autres typiquement français. Dans la double page d’Étienne Chevalier en prière devant la Vierge, la niche devant laquelle siège Marie reprend le portail gothique de la cathédrale de Tours qui avait été érigé quelques années auparavant [Gillouët, Art et société, p. 86]. En revanche, le Trésorier et la cohorte d’anges musiciens se tiennent devant une paroi de style Renaissance composée de pilastres corinthiens et des panneaux de marbre bleu. D’une image à l’autre, l’artiste choisit des modèles différents pour un  même motif : le banc de la Trinité est ainsi figuré sous la forme d’un lettuccio à l’italienne dans le Couronnement de la Vierge alors qu’il ressemble à une stalle gothique dans la Trinité et tous les saints. En fin observateur du paysage urbain, le Tourangeau a su rendre avec minutie et réalisme les villes ou des monuments très connus comme le château de Vincennes (Job sur le fumier) ou la cathédrale Notre-Dame-de-Paris (La dextre de Dieu chassant les démons, La Cène et Le martyre de saint Jacques).

 

 

Les Heures Chevalier, par ses innovations et sa mise en page audacieuse, constitue l’un des jalons essentiels de l’histoire de l’enluminure française au XVe siècle. Source inépuisable de modèles pour les émules de Fouquet, elles trouveront des échos encore longtemps après leur exécution.

 

Bibliographie

Avril François (dir.), Jean Fouquet, peintre et enlumineur du XVe siècle, catalogue de l’exposition de la BnF du 25 mars au 22 juin 2003, Paris, BnF, Hazan, 2010, cat. 24.
Bazin Germain, Jean Fouquet, Le Livre d’Heures d’Étienne Chevalier, Paris, Somogy, 1990.
Stirnemann Patricia, Les Heures d’Étienne Chevalier par Jean Fouquet, les quarante enluminures du musée Condée, Paris, Somogy, 2005.


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