Œuvre en terre cuite plus petite que nature, cette Vierge à l’Enfant provient du château de La Carte, domaine situé à Ballan-Miré (Indre-et-Loire) qui appartenait à la fin du XVIe siècle à Jacques de Beaune. Le financier décida en effet de faire construire cette résidence après que Françoise de la Rochefoucauld, dame de Sainte-Maure et de Montbazon et suzeraine des lieux, lui accorda en 1497 le droit de bâtir sur ses terres. Mais le chantier ne débuta qu’en 1499, après la décision de Louis XII d’ ériger la terre de Ballan et de La Carte en châtellenie [Chevalier, 1861, p. 266].
Les travaux suscitèrent plusieurs commandes artistiques importantes qui s’inscrivaient dans le mécénat particulièrement actif du commanditaire. À Tours, celui-ci fit agrandir l’hôtel familial dans un style moderne, il finança une fontaine publique en marbre de Gênes et il fit tisser une tenture complète pour l’église Saint-Saturnin. À Ballan, il offrit à l’église Saint-Venant de nouvelles verrières (toujours en place) où il se fit représenter avec son épouse Jeanne Ruzé agenouillé au pied du Calvaire. La chapelle du château de La Carte fut embellie de vitraux inspirés de l’art de Jean Poyer illustrant la Nativité et de l’Adoration des Mages (Paris, hôtel Kinsky) où le couple est également figuré en prière. La statue de la Vierge à l’Enfant était placée sur le portail de la chapelle. Elle fut vendue à une date inconnue puis rachetée avant 1901 par le propriétaire du château qui la plaça sur l’autel. Il en fit également faire une copie qu’il installa à l’emplacement initial de l’œuvre [Bosseboeuf, 1901]. Depuis 1975, la Vierge à l’Enfant de la Carte est conservée dans une collection particulière.
Par son style, cette terre cuite fut attribuée à l’atelier de Michel Colombe, voire au maître lui-même. Jacques de Beaune connaissait indubitablement les œuvres de Colombe qui, comme lui, était au service du pouvoir royal. Le sculpteur était en effet à la tête du plus important chantier tourangeau de cette fin de XVIe siècle, celui des deux tombeaux princiers qu’Anne de Bretagne avait commandé pour ses parents et les enfants qu’elle avait eu avec son premier mari (Tombeau de François II et Marguerite de Foix, Tombeau des enfants de Charles VIII et d’Anne de Bretagne). Colombe exécuta également le Trépassement de la Vierge pour l’église Saint-Saturnin où De Beaune possédait une chapelle familiale richement décorée.
La Vierge à l’Enfant s’inscrit dans un groupe de statues mariales tourangelles du premier tiers du XVIe siècle mises en lumière à l’occasion de l’exposition Tours 1500. Elle s’en éloigne toutefois par son thème, celui de la Vierge allaitante, qui est inédit dans cette série. Le matériau est également assez inhabituel : même si la Vierge à l’Enfant du château de Blois (deuxième quart du XVIe siècle) est également en terre cuite, les sculpteurs privilégiaient traditionnellement le marbre (Vierge d’Écouen, v. 1530-1535, musée du Louvre) ou l’albâtre (Vierge d’Olivet attribuée à Guillaume Regnault , v. 1520, musée du Louvre ).
Marie est debout, la tête tournée vers l’Enfant qu’elle tient contre le flanc gauche. Le sein découvert, elle lui présente son téton de la main droite. Elle porte une robe à manches longues et un lourd manteau dont un des pans est maintenu sous les jambes de l’Enfant. Le voile qui est attaché au sommet de la tête retombe sur les épaules et couvre le haut de la poitrine. Elle est vêtue sobrement : les seuls signes de coquetterie sont le ruban noué autour de la taille et le bandeau qui lui dégage le visage.
Elle possède un long cou, des yeux effilés avec des paupières supérieures gonflées et une petite bouche charnue délicatement dessinée. Le front est haut et bombé, effet qui est accentué par l’effacement des arcades sourcilières.
Les traits de Marie évoquent ceux de la Prudence du tombeau de François II et de Marguerite de Foix réalisé par Michel Colombe entre 1502 et 1507. L’Enfant est nu et il regarde sa mère, la bouche ouverte et les bras levés vers elle. La tête, légèrement trop grosse, est bien ronde. Les chairs sont moelleuses, les joues potelées et tombantes. La spontanéité enfantine de son attitude, la simplicité non dénuée de grâce de Marie et l’intimité des gestes et des regards contribuent à faire de cette terre cuite une œuvre emblématique de la première Renaissance française.
Bibliographie
Bosseboeuf Louis de, « Une statue de la Vierge en terre cuite peut être due à Michel Colombe au château de la Carte à Ballan », dans Bulletin de la Société archéologique de Touraine, XIII, 1901, p. 101.
Bresc-Bautier Geneviève, Crépin-Leblond Thierry, Taburet-Delahaye Élisabeth (dir.), France 1500, entre Moyen-Âge et Renaissance, catalogue de l’exposition du Grand Palais à Paris du 6 octobre 2010 au 10 janvier 2011, Paris, RMN, 2010, cat. 60.
Chancel-Bardelot Béatrice de, Charron Pascale, Girault Pierre-Gilles, Guillouët Jean-Marie (dir.), Tours 1500. Capitale des arts, catalogue d’exposition au musée des Beaux-Arts de Tours du 17 mars au 17 juin 2012, Paris, Somogy, 2012.
Chevalier Casimir, « Le château de La Carte à Ballan », dans Mémoire de la Société archéologique de Touraine, XIII, 1861, p. 265-272.
Pradel Pierre, Michel Colombe, le dernier imagier gothique, Paris, Librairie Plon, 1953, p. 92-93.
Vitry Paul, Michel Colombe et la sculpture de son temps, Paris, Librairie centrale des Beaux-Arts, 1901, p. 422-426.