Une entrée royale correspond à l’accueil officiel et solennel d’un souverain dans une ville de son royaume. Il s’agit de célébrer le roi, la reine, qui entrent en tant que naturel et premier seigneur. Ces cérémonies solennelles se développent à la fin du Moyen Âge pour célébrer le premier passage du roi. Elles sont particulièrement ritualisées autour de quelques moments clefs (l’accueil hors les murs devant la porte principale de la ville, l’entrée du roi sous un Dais, la remise des clefs, le serment de fidélité des bourgeois, une cérémonie religieuse à la cathédrale), mais au long de la Renaissance, ces cérémonies se voient complétées par la réalisation d’importants théâtres et décors éphémères urbains qui traduisent une véritable profusion festive. Construits sur les principales places, ils ponctuent une procession urbaine en l’honneur du roi. Celles-ci constituaient aussi les lieux clés où se relayaient les échevins pour tenir les bâtons du dais porté en cette occasion pour couvrir le roi.
Au cœur du système communicationnel complexe de la monarchie en construction, elles apportent un témoignage précieux sur le consensus politique qui s’élabore entre les villes et le roi à la fin du Moyen Âge. Temps de célébration, il s’agit aussi pour la ville d’un temps de négociations important avec le souverain, autour des avantages financiers ou juridiques que la collectivité urbaine tente de gagner. Pour cela elle est prête à engager d’importantes sommes, tant dans les décors que les différents cadeaux d’orfèvrerie (tel la Nef de Tours) qui sont offerts aux souverains qui s’avancent.
La ville de Tours constitue un champ assez privilégié pour l’étude de ces cérémonies car depuis le second tiers du XVe siècle, elle devient une des principales villes au cœur du réseau urbain dans lequel circule la cour. Entre 1450 et 1560, plus d’une dizaine de cérémonies sont réalisées par le corps de ville pour l’accueil des différents rois de France qui firent tous leur entrée à Tours, certains (Charles VII, Louis XI ou encore Charles VIII) résidant souvent dans les alentours immédiats (château du Plessis-Lès-Tours, ou Amboise).
Étape 1 : La porte de La Riche
Donnant sur le principal axe qui mène au château du Plessis, principale résidence royale à Tours, la porte de La Riche est un espace privilégié pour ces entrées royales. Lieu d’accueil du souverain par les bourgeois lorsqu’il arrive du Plessis, elle est aussi le lieu où sont réalisées les représentations théâtrales les plus importantes, l’espace laissé libre devant cette porte permettant leur développement.
Ainsi en 1491, devant Anne de Bretagne qui fait son entrée un « mystère » met en scène un roi légendaire de la ville de Tours, Assuérus, entouré de personnages et musiciens. En 1498, devant Louis XII, le peintre Henri Lalend réalise un éléphant, sans doute pour comparer le roi qui entre à un nouvel Hannibal à la conquête de l’Italie. Un 1500, ont lieu les cérémonies les plus fastueuses devant Louis XII et Anne de Bretagne : la ville conçoit tout un programme iconographique autour du roi mythologique issu de l’Énéide, Turnus, qui serait venu mourir à Tours.
Michel Colombe, célèbre sculpteur du roi, est mobilisé pour en dessiner le harnais et prend sans doute part à la scénographie de la cérémonie qui va employer une dizaine de tapisseries de verdure prêtée par un échevin de la ville. Enfin en 1551, pour l’accueil d’Henri II, probablement sur la porte elle-même est construit un arc de triomphe dont on a encore une représentation idéalisée. Cette même figure sera reprise en 1565 devant Charles IX.
Étape 2 : La Grand-Rue
Au sortir du portail de La Riche, les souverains s’engagent dans la Grand-Rue, qui Traverse la ville de Tours dans toute sa longueur et qui en est l’axe principal. Elle était le chemin privilégié du parcours royal à travers la ville à l’occasion des entrées solennelles. S’y trouvaient répartis les différents théâtres et décorations placés aux principaux carrefours et devant l’hôtel de ville.
Ces carrefours constituaient aussi des étapes dans lesquelles les porteurs du dais royal (des échevins) se relayaient. Pour les entrées solennelles, la rue pouvait être « tendue » c’est-à-dire parée de draps, tant sur les côtés que par le dessus. Elle était aussi nettoyée, voire sablée, afin que les chevaux ne glissent pas sur les pavés.
Étape 3 : Le carroi aux Chapeaux
Le premier carrefour important que les hôtes traversent dans cette rue est le carroi aux Chapeaux. Ce carrefour, le plus central de la partie ouest de la ville était au XVe et XVIe siècles bien plus étroit qu’il ne l’est dans la topographie actuelle.
Certaines représentations théâtrales y étaient cependant présentées au roi qui faisait son entrée, comme en 1565, devant Charles IX. Sont alors édifiés un arc de triomphe et un théâtre de peinture “en guise d’énigme” avec un lys élevé entre deux tours où étaient accrochées les armoiries de la ville, du roi, de la reine et du dauphin.
Étape 4 : L’Hôtel de ville
Après une première halte, les souverains prennent alors la direction de l’hôtel de ville. Situé dans la Grand rue, il ne présentait pas extérieurement de décor particulier, mais, à l’occasion des entrées solennelles, il était souvent paré de tentures (en 1500, 1527, 1560) ou de signes distinctifs. En 1498, devant Louis XII, deux fontaines à vin y sont placées, ornées du dieu Bacchus, et en 1500, une autre y est présentée autour de laquelle se fait une distribution de victuailles.
Étape 5 : Le carroi de Beaune
C’est ensuite vers un autre carrefour de la cité qu’ils se dirigent, le carroi de Beaune. Principal carrefour de la ville, entre les quartiers d’amont et d’aval, à la rencontre de la Grand rue et de la rue Traversaine, au cœur du quartier des affaires et le plus socialement aisé de Tours, ce carroi présente un espace suffisamment vaste pour implanter différents théâtres à l’occasion des entrées royales.
En 1491, devant Anne de Bretagne, la ville y fait jouer le mystère des neufs preuses. En 1500, devant la même (reine de France désormais) et Louis XII, de conséquents mystères y sont joués accompagnés de musique dans un décor végétal de fleurs et d’arbustes, à savoir ceux de Samson, David et « Golias », Hercule et Ludovic avec aussi des représentations d’un Philistin, d’un Juif, d’un Grec et d’un Français. C’est aussi là qu’est présenté un lion en bois taillé par Jean Colas et devisé par Macé Papillon. En 1516, devant François Ier, le mystère de Bethsabée est joué sur un échafaud bâti sur le carroi qui vient d’être équipé d’une fontaine aux armes du roi et de la ville.
L’importance de ces représentations est évidemment liée à la présence voisine et éponyme de la maison de Jean puis Jacques de Beaune, argentier d’Anne de Bretagne et surintendant des finances de François Ier.
Étape 6 : La place Foire-le-Roi
L’étape suivante est la plus vaste de la ville médiévale, à savoir la place Foire-le-Roi. À l’occasion, elle peut également être le lieu d’accueil des souverains lorsqu’ils arrivent par la Loire. Le corps de ville ou une délégation de celui-ci se porte alors au-devant des souverains par bateau puis les hôtes et les échevins accostent au port de la place. C’est le cas pour François Ier le 21 août 1516 et plus tard pour Henri II, le 18 mars 1556.
Qu’importe par où arrivent les souverains, la place revêt systématiquement son costume de fête et est parée de théâtres. Le Mystère de la Passion y est mis en scène pour Charles VII en novembre 1457 et celui des Hercules est joué pour François Ier en 1516. Les théâtres de 1491 sont décrits avec précision par un des relevés des dépenses faites pour l’entrée. On y apprend que celui érigé sur cette place met même en scène le trône de Salomon et de la reine de Saba, bâti sous une tente de tapisseries accrochées par des cordes et des clous. En 1498, on y représente un porc-épic et le personnage d’un Maure.
Étape 7 : Le carroi aux Arcis
Depuis la place Foire-le-Roi, la procession continue sa route vers l’est et fait une nouvelle halte au carroi des Arcis, toujours situé sur la Grand-Rue. Carrefour assez étroit, les Arcis sont un des cœurs économiques à proximité du château à l’entrée de l’antique cité.
En 1560, certaines maisons y sont détruites pour pouvoir construire des représentations théâtrales devant Henri II, dont en particulier un des trois arcs de triomphe présentés cette année-là. En 1491, y sont présentés les mystères des Sibylles avec plus de 17 personnages. De là le roi en procession se rend à la cathédrale pour suivre une messe ou un Te deum.
Étape 8 : La porte Feu-Hugon
Reste un dernier lieu qui pouvait donner lieu à une étape sur le trajet des hôtes, la porte Feu-Hugon. Située à l’est de la ville, elle est moins fréquemment utilisée pour l’accueil des souverains qui généralement viennent du Plessis (ouest de la ville).
En 1498 cependant, la ville accueille par celle-ci Louis XII qui vient d’Amboise pour sa première entrée. S’y tient alors le premier des six mystères présentés et devisés par Jean Binet et Jean Papillon, à savoir celui de Turnus et de Hugon héros qui auraient donné leurs noms à la ville et à la porte du même nom. La ville met ainsi en valeur ce qui fait sa grandeur, et se rattache à une grande histoire mythologique, Turnus étant un roi légendaire issu de l’Énéide.
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