Des fouilles menées par le Centre d’archéologie urbaine de Tours dans cave d’une maison de la rue des Tanneurs en 1968 ont permis de mettre au jour plusieurs fragments issus de quatre œuvres, toutes sculptées dans la même pierre [Rolland, 1996, p. 10] : une Vierge à l’Enfant, la statue d’un carme agenouillé, celle d’un homme portant un manteau fleurdelisé et un col d’hermine et un groupe de Saint Michel et le dragon. Le revers évidé de ces œuvres indiquent qu’elles furent conçues pour être placées contre une paroi [Rolland, 1990, p. 4]. La présence d’un carme parmi ces vestiges et l’emplacement de leur découverte ont mené à conclure qu’ils appartenaient à l’ancienne église des carmes.
Après un passage dans le faubourg de la Riche, l’ordre mendiant du Carmel s’installa en 1324 en ville, près de Châteauneuf, où il investit la chapelle Notre-Dame-de-Pitié [Mabire, 1981, p. 40]. Celle-ci, trop petite, fut rapidement remplacée par une église qui fut à son tour reconstruite en 1473 grâce au soutien du roi Louis XI [Oury, 1911, p. 318]. Les bâtiments conventuels et les dépendances furent vendus et démolis en 1791[Oury, 1911, p. 331] mais l’église fut épargnée et devint paroissiale sous le vocable de Saint-Saturnin en 1824.
La qualité d’exécution de la Vierge à l’Enfant est indéniable en dépit de son état lacunaire et très endommagé. Marie est debout et tient l’Enfant Jésus contre le flanc gauche. Le bras droit est ouvert et tendu sur le côté. Elle porte un manteau à capuchon dont les liens sont noués sous la poitrine et un mantelet qui lui couvre le buste. L’Enfant, qui est vêtu d’une tunique échancrée au niveau des cuisses, tourne le buste légèrement vers le bas, du côté droit. L’orientation de l’épaule droite et les traces d’arrachement au niveau du bras laissent supposer que celui-ci était tendu vers l’avant. La richesse des vêtements est remarquable. La technique du sgraffito, qui consiste à appliquer une couche de peinture sur un support doré afin de la gratter pour faire apparaître la dorure sous-jacente, permet de créer des motifs variés et de donner aux étoffes rouges des reflets subtils et chatoyants. Les chaires étaient d’une teinte rosée comme en attestent les restes de polychromie.
L’emplacement de la découverte des fragments conduit à penser que la Vierge à l’Enfant appartenait bien au décor de l’église des carmes. Le bras droit de Marie tendu vers l’avant et la rotation du buste de Jésus dans le sens opposé évoquent les représentations de la donation du scapulaire à Simon Stock, un frère carme qui œuvra à la diffusion de l’ordre en Europe au XIIIe siècle. La dévotion au scapulaire était très populaire entre les XVe et XVIIe siècles et il est attesté qu’une Confrérie lui étant dédiée était établie dans l’église des Carmes au XVIe siècle [Oury, 1911, p. 318]. La statue faisait peut-être partie d’une chapelle où se rassemblait cette confrérie. Si l’on admet l’hypothèse d’une Vierge à l’Enfant remettant le scapulaire, les vestiges du carme et de l’homme au manteau fleurdelisé – un roi, mais lequel? – pourraient faire partie du même groupe. Les deux figures, qui ont des dimensions similaires (environ 110 cm), sont représentées de profil, le droit pour le carme et le gauche pour le second personnage [Rolland, 1990, p. 7], ce qui indique qu’elles ont pu être disposées de part et d’autre de Marie. La différence de taille entre la Vierge à l’Enfant et les deux statues d’homme s’expliquerait alors par une hiérarchisation entre le monde céleste et terrestre. Il se peut également que l’effigie mariale et le Saint Michel, qui présentent des caractéristiques techniques proches, notamment pour la méthode d’évidement, et qui devaient avoir une hauteur similaire, aient formé une paire.
La datation des sculptures est incertaine au vu de l’état des fragments. Toutefois, leur destruction ne serait pas due à la vague d’iconoclasme de 1562 qui toucha la ville, le bûchage des fleurs de lys du manteau de personnage masculin s’apparentant plutôt au vandalisme anti-monarchique de la Révolution. Deux possibilités sont donc envisageables : soit les statues ont été conçues au début du XVIe siècle et n’ont pas été touchées par les ravages huguenots [Mabire, 1981, p. 44], ce qui semble peu probable pour un groupe de cette dimension, soit elles ont été réalisées après 1562.
Bien des questions demeurent encore sur la provenance des fragments découverts en 1968. Toutefois, de nombreuses similitudes techniques laissent supposer que les quatre œuvres étaient issues d’un seul et même atelier.
Bibliographie
Chancel-Bardelot Béatrice de, Charron Pascale, Girault Pierre-Gilles, Guillouët Jean-Marie (dir.), Tours 1500. Capitale des arts, catalogue d’exposition au musée des Beaux-Arts de Tours du 17 mars au 17 juin 2012, Paris, Somogy, 2012, cat. 20 (notice d’Olivier Rolland et Jean-Marie Guillouët).
Mabire La Caille Claire, « Évolution des enclos des couvents mendiants à Tours », dans Recherches sur Tours, I, 1981, p. 13-72.
Oury Antoine, « Le couvent des Carmes à Tours », dans Bulletin de la Société archéologique de Touraine, 18, 1911, p. 311-332.
Rolland Olivier, Restauration d’une Vierge à l’Enfant en tuffeau polychrome, mémoire de fin d’études de l’école de Beaux-Arts de Tours, 1990.