Le Tombeau des enfants de Charles VIII et d’Anne de Bretagne, aujourd’hui conservé dans la première chapelle sud du Chœur de la cathédrale Saint-Gatien, provient du chœur liturgique de l’ancienne basilique Saint-Martin. Fruit d’une commande de la mère des défunts, la reine Anne de Bretagne, cette œuvre, sculptée dans des marbres polychromes, fut installée en 1506 dans la basilique où il resta jusqu’au XVIIIe siècle. Elle fut épargnée par les saccages révolutionnaires puis démontée et mise à l’abri avant la fin de l’année 1792. Elle fut finalement rendue aux chanoines en 1815 et transférée à sa place actuelle en 1834.
Anne de Bretagne commanditaire
Charles-Orland et Charles moururent très jeunes, respectivement à trois ans et à un mois. Leur mère, une fois remariée au roi Louis XII, voulut honorer leur mémoire ainsi que celle de son premier mari le roi Charles VIII et de ses parents, François II de Bretagne et Marguerite de Foix. Elle commanda donc simultanément trois tombeaux, celui de Charles (détruit) destiné à la basilique de Saint-Denis et celui de ses parents à l’église des Carmes de Nantes (actuellement à la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul). La réalisation des monuments tourangeau et nantais fut confiée à un même groupe d’artistes et se déroula à Tours. Dans un premier temps, le fiesolan Jérôme Pacherot et Guglielmo Bonino, vraisemblablement Guillaume de Beaune, le fils de Jacques de Beaune, l’un des grands financiers du royaume, furent envoyés en Italie à la fin de l’année 1499 pour aller chercher les marbres. Le travail fut ensuite réparti entre l’atelier de Michel Colombe qui s’occupa des figures principales et un groupe d’ornemanistes italiens, dont Pacherot, à qui l’on doit le soubassement. Les œuvres furent mises en place respectivement en 1506 et 1507.
Le tombeau des enfants royaux
Le tombeau se présente sous la forme d’un sarcophage composé d’une cuve sépulcrale et d’un couvercle sur lequel gît le corps des petits défunts. Quatre anges vêtus d’une robe liturgique sont disposés aux angles, deux à la tête qui tiennent les coussins funéraires et deux autres à l’opposé, qui portent des écus ornés de fleurs de lys et de dauphins. Les princes sont représentés de façon hiératique, les yeux ouverts et en habits d’apparat. Charles-Orland, en tant qu’ancien héritier du trône, est paré de la couronne royale. L’œuvre n’a pas pour objectif de montrer les caractéristiques personnelles et individuelles des défunts – en dépit de leur jeune âge, aucun thème lié à l’enfance n’a été choisi par la commanditaire – mais elle vise à conforter la place des héritiers dans une société parfaitement ordonnée et hiérarchisée. En effet, à la fin du Moyen- Âge et au début de la Renaissance, les monuments funéraires de la noblesse et de la famille royale se caractérisent par l’omniprésence d’éléments symbolisant l’appartenance à une lignée prestigieuse. Ainsi, la cordelière, un des emblèmes d’Anne de Bretagne, qui est disposée sur la partie supérieure du couvercle, renvoie à l’illustre ascendance des deux frères. Les blasons tenus par les angelots et par les putti, les fleurs de lys, la cape d’hermine, le motif du dauphin et bien sûr celui de la couronne sont autant de symboles du statut des jeunes princes.
Une iconographie complexe
Sur les faces du couvercle s’épanouissent des rinceaux végétaux peuplés d’êtres hybrides et comportant d’un côté, des scènes de la vie de Samson (Samson et les portes de Gaza, Samson et le lion, Samson et Dalila et Samson et la mâchoire de l’âne) et de l’autre, des épisodes des travaux d’Hercule (les colonnes d’Hercule, Hercule et l’Hydre de Lerne et Hercule et Antée). Cette iconographie, unique dans l’art funéraire de l’époque, valorise la force et les exploits des personnages représentés et glorifie leur victoire sur le Mal. Elles conduisent à interpréter le programme comme un présage de ce qu’aurait dû être la vie des dauphins en tant qu’héritiers de la couronne. Par ailleurs, l’association des épisodes mythologiques et vétérotestamentaires évoque des ouvrages de la littérature contemporaine, notamment La Louenge des roys de France (1508) écrite par André de La Vigne, un des secrétaires d’Anne de Bretagne. L’œuvre, qui était destiné à magnifier les vertus du roi, exalte les qualités royales à travers la force et le courage des deux héros, comme ce fut également le cas en 1500, dans les mystères de Samson et d’Hercule joués au carroi de Beaune lors de l’entrée de Louis XII et d’Anne de Bretagne à Tours.
La collaboration artistique
Le tombeau est le fruit d’une collaboration entre deux groupes d’artistes formés dans des milieux différents. Les gisants et les quatre anges, qui s’inscrivent dans la tradition de la sculpture funéraire française, sont issus de l’atelier de Michel Colombe, un sculpteur berrichon installé à Tours depuis les années 1470. Les deux effigies princières sont plus parfois attribuées à Guillaume Regnault, son collaborateur le mieux connu.
La cuve sépulcrale, en revanche, rappelle certaines œuvres toscanes, notamment le sarcophage de Giovanni et Piero de’ Medici par Andrea del Verrocchio et les scènes de la vie d’Hercules évoquent quant à elles les peintures et les sculptures d’Antonio Pollaiolo. Tout cela révèle la participation d’un ou de plusieurs artistes italiens, sans doute les mêmes tailleurs de « massonnerie entique » présents sur le chantier du tombeau des parents d’Anne de Bretagne de Nantes. Parmi eux, citons Jérôme Pacherot (Girolamo Paciarotti) qui avait procédé au transport des marbres depuis la Toscane. Celui-ci était arrivé en France quelques années auparavant : il faisait en effet partie du contingent d’artistes qui suivirent Charles VIII lors du retour de l’expédition italienne de 1495. L’apport des Italiens à la sculpture française de la fin du XVe et du début du XVIe siècle fut dans un premier temps essentiellement décoratif : ils importèrent en effet de nouveaux motifs issus du répertoire antique (rinceaux, candélabres, putti, masques) qui permirent le développement d’un nouveau vocabulaire ornemental.
Le monument tourangeau est un exemple unique de tombeau d’enfant à la Renaissance en France et apparaît comme une œuvre clé de l’art autour de 1500. Par la suite, les artistes qui y contribuèrent furent sollicités par le cardinal d’Amboise pour décorer le château de Gaillon, l’un des chantiers les plus importants pour la diffusion du nouveau style.
Bibliographie et sources
Bardati Flaminia, Mozzati Tommaso, « Jérôme Pacherot et Antoine Juste : artistes italiens à la cour de France », dans Studiolo, 9, 2013, p. 209-254.
Bresc-Bautier Geneviève, Crépin-Leblond Thierry, Taburet-Delahaye Elisabeth, Wolff Martha, France 1500, entre Moyen-Âge et Renaissance, catalogue d’exposition au Grand Palais de Paris du 6 octobre 2010 au 10 janvier 2011, Paris, Éditions de la RMN, 2010.
Chancel-Bardelot Béatrice de, Girault Pierre-Gilles, Guillouët Jean-Marie, Charron Pascale (dir.), Tours 1500. Capitale des arts, catalogue d’exposition au musée des Beaux-Arts de Tours du 17 mars au 17 juin 2012, Paris, Somogy, 2012.
Chrétien Céline, Le Tombeau des enfants de Charles VIII, Mémoire de recherche de M1, sous la direction d’Alain Salamagne, Université François Rabelais, CESR, 2005.
Iconographie de l’entrée royale de 1500 : Renumar, 23 décembre 1500.