Ce livre d’heures à l’usage de Rome conservé au Teylers Museum de Haarlem a été enluminé par Jean Poyer, un des peintres majeurs de la fin du XVe siècle, pour Guillaume Briçonnet (1445-1514). Membre d’une grande famille de financiers tourangeaux, Guillaume fut d’abord secrétaire des finances en 1480, puis général des finances du Languedoc et, à l’avènement de Charles VIII, il fut nommé secrétaire du Trésor et premier conseiller du roi. En 1491, à la mort de son épouse Raoulette de Beaune, la sœur de Jacques de Beaune, il embrassa une carrière ecclésiastique et il devint alors évêque de Saint-Malo (1493), cardinal (1495) et archevêque de Reims (1497). L’attention portée aux coiffes et à la chevelure des figures féminines, et notamment à celles de Marie, invite à penser que le volume fut offert par Guillaume à son épouse.
Les vingt-cinq miniatures en pleine page de l’ouvrage sont entourées de cadres en trompe-l’œil qui les font ressembler à de véritables petits tableaux. Poyer s’inspire ainsi d’un modèle élaboré par Fouquet dans les Heures dites de Baudricourt (vers 1475) et repris abondamment par Bourdichon à partir des années 1500, notamment dans les Heures d’Henry VII (v. 1500), dans les Heures de Louis XII (v. 1498-1502) et dans les Grandes Heures d’Anne de Bretagne (v. 1503-1508). Dans ce livre d’heures, Poyer crée un univers visuel singulier à partir d’éléments de cultures différentes : dans les scènes se mêlent en effet des bâtiments d’inspiration italienne, des figures vêtues à l’orientale et une multitude de détails typiquement français. Dans l’Adoration des mages, le chapeau conique d’un des cavaliers à l’arrière-plan évoque par son exotisme l’origine des rois. La scène se déroule dans un cadre architectural aussi étonnant qu’improbable composé d’une arcature classique partiellement en ruine et de l’avant-toit d’une étable en bois et en chaume. La maîtrise de la perspective et l’articulation des différents plans dénote un peintre déjà aguerri et au faîte de son art, qui excelle aussi bien dans les paysages lointains, dans les vues de villes (Le Roi David en prière) ou dans les scènes d’intérieur (Saint Matthieu et l’ange).
Bien que la vie de Poyer soit peu documentée, les spécialistes s’accordent pour lui attribuer un, voire deux séjours en Italie où il a pu étudier directement l’art des maîtres de la Renaissance. Dans les Heures Briçonnet, les paysages montagneux scandés d’éperon rocheux comme celui de La Vision de Gédéon rappellent les œuvres d’Andrea Mantegna [Wieck, 2000, p. 22]. Dans l’Affrontement d’Abner et Joab, thème plutôt rare dans l’art mais qui se rencontre toutefois dans des exemplaires de la Biblia pauperum ou du Speculum humanae salvationis [Wieck, 2000, p. 22], Poyer s’éloigne des représentations habituelles où Joab porte le coup de couteau fatal par-devant. Dans le manuscrit, le corps arqué du supplicié qui rejette la tête vers l’arrière et l’étreinte meurtrière de Joab qui plaque le visage contre le torse de sa victime renvoient, dans un style plus adouci, au tableau d’Hercule et Antée (Florence Galerie des Offices) réalisé par Antonio Pollaiolo vers 1475. Les traces d’un voyage en Italie sont également décelables dans la miniature figurant saint Marc assis dans une Loggia devant une ville lacustre semblable à Venise. La silhouette des cheminées, la forme de la gondole et la configuration du parvis évoquent directement la Sérénissime où le peintre a dû séjourner quelque temps.
Le Livre d’Heures de Guillaume Briçonnet est considéré comme le manuscrit le plus précoce dans le corpus de Jean Poyer. La datation proposée par les spécialistes, vers 1485-1490, repose sur une comparaison stylistique avec l’unique tableau de l’artiste encore conservé, le Retable du Liget peint en 1485.
Les deux œuvres partagent en effet de nombreux points communs dont une tendance à l’orientalisme, des paysages dégagés ponctués des villes fortifiées et une palette où prédominent des couleurs franches (notamment un surprenant jaune doré) et des contrastes tranchés. En outre, le Longin de la Crucifixion du retable et le Gédeon du manuscrit sont dépeints dans une attitude identique et possèdent une armure et un casque similaires. Ils renvoient par conséquent à un modèle commun, probablement élaboré pour l’un et réutilisé pour l’autre.
Bibliographie
Avril François, Reynaud Nicole, Les Manuscrits à peinture en France, 1440-1520, catalogue de l’exposition de la Bibliothèque nationale de France du 16 octobre 1993 au 16 janvier 1994, Paris, Flammarion, 1993, cat. 169.
Bresc-Bautier Geneviève, Crépin-Leblond Thierry, Taburet-Delahaye Élisabeth (dir.), France 1500, entre Moyen-Âge et Renaissance, catalogue de l’exposition du Grand Palais à Paris du 6 octobre 2010 au 10 janvier 2011, Paris, RMN, 2010, cat. 58.
Wieck Roger, Voelkle William, Hearne Michelle, The Hours of Henry VIII, A Renaissance masterpiece by Jean Poyet, New York, George Braziller, The Pierpont Morgan Library, 2000, p. 20-23.