Les Grandes Heures d’Anne de Bretagne, qui ont été peintes par le Tourangeau Jean Bourdichon, est un manuscrit doté d’un ensemble d’images religieuses de grande qualité et de riches bordures végétales. Resté dans la famille royale jusqu’à la Révolution, il fit partie des saisies révolutionnaires en 1795. Conservées un temps à la Bibliothèque impériale puis au musée des Souverains au Louvre, il rejoignit les collections de la Bibliothèque nationale en 1872 [Man. à peinture, p. 297 et Consultation (bnf.fr)].
La pièce maîtresse de Jean Bourdichon
La propriétaire d’origine du manuscrit, Anne de Bretagne, est aisément identifiable grâce aux initiales, aux armes (fo1vo) et au portrait (fo3ro) peints au début de l’ouvrage. Confrontée à la mort de Jean Poyer qu’elle avait sollicité à plusieurs reprises, la reine s’adressa à Bourdichon qui avait réalisé quelques années auparavant un livre d’heures pour son second époux, le roi Louis XII. En mars 1508, Anne demanda qu’un paiement de 1050 livres tournois – une somme considérable – soit effectué à Bourdichon, alors « paintre et varlet de chambre de Monseigneur (Louis XII) », pour avoir « richement et sumptueusement historié et enlumyné une grans heures » [Tours 1500, cat. 1], c’est-à-dire le manuscrit de la BnF [Consultation (bnf.fr)]. La qualité des enluminures invite à penser qu’il travailla seul, sans l’intervention d’assistants ou de collaborateurs [Hermant, 2021-2021, p. 17].
L’ouvrage comporte un grand nombre d’illustrations dont un diptyque en frontispice, quarante-sept miniatures à pleine page et une multitude de bordures florales. Cet ensemble était complété par un Couronnement de la Vierge disposé en ouverture des complies, qui est aujourd’hui manquant [Hermant, 2021-2021, p. 17].
Dans la double page d’introduction, la reine est agenouillée devant un prie-dieu sur lequel repose un livre ouvert. Elle est entourée de ses trois saintes protectrices, Anne, Ursule et Hélène, alors qu’elle contemple une Lamentation représentée sur la page opposée. Cette composition s’inspire directement du diptyque du Livre d’Heures de Louis XII auquel le peintre a toutefois apporté des modifications. Les plus notables sont la présence d’un paysage montagneux ponctué de nombreuses fortifications et celle du pied de la Croix ensanglantée derrière la Vierge. Le traitement de la Lamentation a en outre été sensiblement adouci. En effet, les Saintes femmes et Marie ont une expression moins affectée et leurs yeux, bien que toujours remplis de larmes, sont moins rouges. Le corps du Christ est également moins meurtri.
Le calendrier constitue la première partie du volume. À chaque mois correspond un feuillet au recto duquel sont figurés les travaux agricoles et le signe du zodiaque qui lui sont associés. Un cadre doré inséré dans l’image comporte la première partie du calendrier. Celui-ci se poursuit au verso où le texte est flanqué d’une élégante bordure végétale peinte sur un fond d’or.
Les miniatures à pleine page sont disposées au verso de pages. Le recto est quant à lui laissé vierge. Ainsi, il est possible d’observer par transparence les différentes étapes du travail de l’artiste, ses hésitations (La Sainte famille) et ses modifications (Saint Luc) [Man. à peinture, p. 299]. Le cadre en bois feint qui entoure les images est un dispositif déjà employé dans les Heures de Louis XII. Cependant, contrairement au volume destiné au roi, les miniatures font face au texte, ce qui crée une liaison harmonieuse entre eux. Les rapports entre les deux manuscrits royaux sont aisément décelables.
En effet, Bourdichon n’hésite pas à reprendre certaines compositions, en y apportant toutefois des variations, comme par exemple dans le Baiser de Judas. Il recourt également aux procédés qui avaient contribué à la renommée des Heures de Louis XII : certains épisodes sont traités en « dramatic close-up » (un cadrage serré sur des personnages à mi-corps ou en gros plan) ce qui a pour conséquence d’offrir au lecteur un rapport plus intime avec les scènes représentées. De plus, à l’instar des Heures de Louis XII, les nocturnes permettent de déployer une lumière artificielle spectaculaire – à l’exception de la Crucifixion, totalement plongée dans l’obscurité – qui accentue l’atmosphère dramatique (le Baiser de Judas) ou qui révèle la nature divine d’un événement (l’Annonce aux bergers).
De riches marges végétales
Mais l’originalité des Grandes Heures d’Anne de Bretagne tient avant tout aux marges végétales conçues de façon naturaliste où, à la manière d’un traité de botanique, le nom de chaque espèce (plus de trois cents au total [Hermant, 2021-2021, p. 21]) est écrit en latin et en français [Man. à peinture, p. 300].
Les plantes peintes sur un fond doré sont disposées soit sur le bord extérieur de la page sur toute la hauteur du texte, soit tout autour de celui-ci. Elles ne forment pas un simple herbier mais constituent un monde plein de vie où tout un peuple d’insectes et d’animaux – dont deux adorables petits singes – plus vrais que nature cohabitent au milieu de fleurs resplendissantes. Bien que l’effet décoratif soit indéniable, certains de ces spécimens possèdent une charge symbolique forte au regard des images auxquelles ils font face (par exemple, le lys blanc, emblème marial, accompagne l’Annonciation). Les marges et le répertoire végétal des Grandes Heures connurent un grande succès. On en retrouve d’ailleurs des échos chez les émules du maître tourangeau [Herman, Ut certius…, p. 223], notamment chez le Maître de Claude de France, l’un de ses plus talentueux assistants [Wieck, 2014, p. 36] (par exemple Livre d’Heures, Londres, British Library, Add. ms. 35214).
Jean Bourdichon, qui avait déjà servi sous Louis XI, Charles VIII et Louis XII conserva sa charge de peintre du roi sous François Ier. En début de règne, il réalisa pour ce dernier un livre d’heures qui a malheureusement disparu. Toutefois, la rétribution, similaire à celle des Grandes Heures, et les « riches et sompteux histoires tous différentes et approchant du vif, vignettés et arboriées, en chacune page de feullet de très riches fleurs, arbres et vignettes toutes différentes et approchant du vif » qui l’illustraient [Man. à peinture, p. 299 et Tours 1500, p. 49 et 304, N. Herman, Ut certius…, p. 222 ], laisse supposer que le peintre reprit les formules déjà éprouvées quelques années auparavant.
Bibliographie
Avril François, Reynaud Nicole, Les Manuscrits à peinture en France, 1440-1520, catalogue de l’exposition de la Bibliothèque nationale de France du 16 octobre 1993 au 16 janvier 1994, Paris, Flammarion, 1993, (cat. 164).
Hermant Maxence, « Les Grandes Heures d’Anne de Bretagne », dans Art de l’enluminure, 75, déc. 2020-févr. 2021, p. 4-61.