Entré dans les collections du Musée des Beaux-Arts de Tours en 2007, le diptyque démantelé du Christ bénissant et la Vierge en oraison fait partie des rares panneaux peints attribués à Jean Bourdichon. De dimensions quasi-similaires, les deux tableaux présentent, sur un fond d’or, Jésus vêtu d’une robe violine ornée de galons dorés bénissant Marie drapée dans un lourd manteau bleu. Celle-ci, tournée vers son Fils, les yeux baissés en signe d’humilité et de recueillement joint les mains en prière. Les figures coupées à mi-corps sont aujourd’hui incomplètes. Les deux panneaux ont été amincis et rognés ce qui a entrainé la disparition de la main droite du Christ qui devait reposer sur un globe et la partie supérieure des nimbes. Les analyses menées par le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) en 2010 ont en outre permis d’identifier sur la couche préparatoire des incisions et des dessins indiquant le recours à un calque pour la mise en place des figures [Tours 1500, p. 160]. L’usage de cette technique de duplication, très répandue dans les ateliers de peinture, est confirmé par la conservation d’une seconde version de la Vierge en oraison en tout point identique et relevant donc d’un prototype commun (Londres, collection Sam Fogg).
Le thème du Christ bénissant et de la Vierge en oraison, diffusé dans l’art occidental à partir de modèles byzantins (thème de la Déesis), appartient à un type d’œuvres, dit de dévotion, très largement répandu à la fin du Moyen Âge [Tours 1500, p. 154-159]. La Vierge intercédant par la prière auprès de son Fils pour le salut de l’humanité constitue l’un des supports privilégiés / à la méditation spirituelle ? pour les fidèles et se retrouve sur panneau et, plus encore, en enluminure dans les livres d’heures.
Marie, figurée de trois quart et à mi-corps, les mains jointes à hauteur de poitrine, enveloppée dans un manteau recouvrant un voile blanc au nombreux plis cassés correspond à un prototype créé par Jean Bourdichon vers 1480, à partir d’images de de la Vierge peintes par son maître Jean Fouquet (Heures de Simon de Varie) [Tours 1500, p. 156]. Cette image est très largement diffusée par l’artiste tout au long de sa carrière et est reprise également en abondance par ses suiveurs (Heures de Charles VIII, Paris, BnF, ms Lat. 1370 ; Vierge en prière, Vic, Musée épiscopal MEV 6386 ; Livre de prières, Saint-Germain-en-Laye, BM, ms R.60732). La physionomie du Christ relève tout autant du répertoire de Jean Fouquet et de son atelier.
Proche du saint Jean de la Pietà de Nouans-Les-Fontaine, il partage avec la Sainte Face des Heures d’Anne de Beaujeu, attribuée au Maître de Boccace de Munich [Tours 1500, cat. 33], un même nez long et droit, une barbe bifide, des yeux en amande largement écartés et soulignés par deux fins sourcils, et des cheveux séparés par une raie médiane et retombant en grosses boucles sur les épaules.
Plusieurs indices permettent de proposer une datation vers 1480-1485, à une période où les modèles de Fouquet marquaient encore fortement l’œuvre de Jean Bourdichon. L’absence de retombée du voile blanc sur le front de la Vierge correspond ainsi aux premières effigies mariales du peintre, et suit en cela fidèlement la Vierge des Heures de Simon de Varie. Les plis du manteau de Marie, lourds et rigides, confèrent au modèle un caractère sculptural très fouquetien qui sera atténué dans les œuvres plus tardives de Bourdichon dans lesquelles les formes gagnent en rondeur et en souplesse [Nash, 2011, p. 230].
Bibliographie
Chancel-Bardelot Béatrice de, Charron Pascale, Girault Pierre-Gilles, Guillouët Jean-Marie, (dir.), Tours 1500. Capitale des arts, catalogue d’exposition au musée des Beaux-Arts de Tours du 17 mars au 17 juin 2012, Paris, Somogy, 2012, cat. 31 (notice de Pascale Charron et Pierre-Gilles Girault).
Nash Susie, Herman Nicholas, « Jean Bourdichon : The Virgin in Prayer », dans Late Medieval Panel Paintings: Materials, Methods, Meanings, catalogue de l’exposition de la galerie Sam Fogg de Londres du 4 novembre 2011 au 27 janvier 2012, Londres, Sam Fogg, 2011, p. 226-232.