Décor du cloître Saint-Martin

Auteur(s) :

François, Bastien

Commanditaire(s) :

Date(s) :

1508-1519

Dimension(s) :

Techniques / Matériaux :

Pierre de taille, tuffeau

Lieu de conservation :

Tours, 47 rue Néricault-Destouches

Le mot cloître vient du latin claustrum, signifiant « lieu clos » [Littré, 1873-1874, p. 646]. L’enceinte du cloître du Xe siècle, le castrum, était divisée en deux parties. La moitié sud était réservée aux seuls chanoines tandis que la moitié nord du castrum était destinée aux laïcs. Ainsi, le claustrum renvoie au quartier canonial où logeaient les chanoines de la basilique de Saint-Martin [Noizet, 2007, p. 107]Toutefois, la séparation entre laïcs et chanoines au sein du cloître de Saint-Martin a pu varier, notamment en fonction des réformes pontificales [Noizet, 2007, p. 347]. Pour la période s’étendant du XIe au XVIIIe siècle, les fouilles archéologiques² effectuées en 1979 ont montré l’existence de traces d’activités domestiques et d’inhumations de laïcs ou de clercs au centre du cloître (zones 3 et 5) tandis que des vestiges de maisons canoniales se situent à l’ouest (zone 1) [Inrap]. En revanche, une distinction nette entre les espaces réservés à la vie commune des chanoines – salle du chapitre, cloître à galeries, cimetière – et ceux réservés à leur vie privée – les maisons canoniales  – est établie dans le monastère. Le cloître est donc un objet d’étude difficile à appréhender en raison de la polysémie de ce terme, qui varie en fonction du contexte et des spécificités locales. Pour faciliter la lecture, nous utiliserons ici le mot cloître comme désignant, dans un monastère, « une galerie intérieure couverte, et formant un carré, au milieu duquel est ordinairement un petit jardin » [Littré, 1873-1874, p. 646].  

 

Le cloître et la basilique Saint-Martin

Parallèle à la rue Descartes, au cœur du quartier des Halles, le cloître prenait place entre la basilique Saint-Martin et les maisons canoniales de la rue Rapin. La galerie orientale, seul vestige encore visible mais peu accessible dans la cour intérieure d’une copropriété privée, est contiguë au bras méridional du transept de la basilique. Les trois autres galeries disparues s’élevaient à l’ouest, au nord, parallèle au mur du Collatéral dont il subsiste l’encadrement de quatre baies à arc brisé, et au sud, adossée à trois maisons canoniales.

 

Bastien François, « maistre masson »

Raoul Monsnyer, chanoine de la collégiale Saint-Martin au XVIIe siècle, rapporte dans son Histoire de Saint-Martin l’édification d’une nouvelle galerie dans le cloître à partir de 1508 [Monsnyer, 1633]. Mais, sans en donner les raisons, il indique l’interruption des travaux en 1519, date à laquelle seul le rez-de-chaussée et ses huit travées sur neuf sont achevés. Sa réalisation est attribuée à Bastien François d’après la lettre de Michel Colombe à Marguerite d’Autriche en 1511 où il est qualifié de « maistre masson de l’église collégiale de Sainct Martin de Tours » [AD 59].  

 

La galerie du cloître Saint-Martin

La galerie comprend neuf travées séparées par des contreforts sommés de pilastresEntre ces éléments verticaux, les arcs en plein-cintre agrafés par une clef délimitent dans ses angles des écoinçons. Ils sont surmontés d’une frise puis d’une corniche renforcée par des modillons à volutes. La galerie est couverte par des voûtes en pendentifs, sur lesquelles s’entrecroisent des nervures. Les caissons sont suggérés par le dessin des nervures qui se détachent du fond plat. Ce couvrement, rare, diffère des exemples antiques et italiens (Panthéon, Rome, IIe siècle et l’église San Lorenzo, Florence, XVe siècle). La forme italienne des caissons paraît creusée de façon individuelle tandis que pour celle du cloître, la continuité des moulurations des voûtes forme un découpage imitant des caissons [Thomas, 2012, p.106]. Selon une technique médiévale, chaque croisement de nervures engendre un point de rencontre de deux lignes ornées d’une clef de voûte sculpté en pendentif [Guillaume, 2016, p. 243]. Mais l’ornementation est renaissante : les profils sont arrondis et les moulures plates portent des palmettes. Le décor des pendentifs évolue entre les travées du sud et du nord : des chardons et des choux frisés ainsi que des écus suivis de têtes de mort. Le thème funèbre est fréquent dans les cloîtres et cimetières à galerie du premier quart du XVIe siècle [Cospérec, 2003, p. 331]. Si la fonction principale du cloître est d’organiser la vie de la communauté, il n’en reste pas moins un lieu d’inhumation et ses sculptures macabres en rappellent cette seconde fonction. L’aître Saint-Maclou à Rouen, édifié dans le deuxième quart XVIe siècle, est un ossuaire manifestant également un thème macabre dans son décor. 

 

Une construction sur 11 ans

Le décor illustre l’évolution stylistique des années 1510-1520 en Val-de-Loire. La chronologie de la construction, étalée sur 11 ans, permet d’observer de nouvelles formes (la dernière Travée étant inachevée au sud, la construction semble avoir été menée du nord vers le sud. La description des travées suit une numérotation de 1 à 8, du nord au sud). Les feuillages gothiques et les têtes de mort des premières travées sont suivis de motifs d’origine lombarde apparus en France vers 1500. L’ensemble imite un portique à « l’antique », notamment avec les médaillons. Si les sculpteurs s’inspirent de différents modèles, toutefois, ils ne les copient pas à l’identique. Ainsi, ils hybrident les motifs et les styles [Thomas, 2016, p. 236-240]. Les sculptures du cloître rivalisent d’invention pour ne pas se répéter malgré l’exigence de la symétrie. Les huit travées portent toutes un décor différent, à l’exception des frises des deuxième et cinquième travées qui sont identiques.

 

Les motifs du décor 

L’anthémion, motif antique linéaire formé de palmettes alternées de fleurs de lotus, se retrouvent surtout sur les premières travées. Cependant, les motifs sont très espacés et ne respectent pas toujours l’alternance, différant ainsi du modèle antique. La palmette est entourée de plusieurs «  fleurs de lotus » qui perd sa désignation stricto sensu puisque sa forme est très variable : du fleuron, au vase avec un bouquet de fleurs formant un Candélabre jusqu’à la coupe de fruit. La quatrième travée alterne de façon inattendue fleur de lotus et chérubin [Thomas, 2016, p. 237]. La troisième travée présente un motif similaire à celui du tombeau des enfants de Charles VIII achevé en 1507 mais les sculpteurs font preuve de deux perceptions différentes [Thomas, 2016, p. 238]. Des feuilles dentelées accompagnées de chaque côté de gousses (demi-palmette) composent le décor de la troisième travée. Sur le tombeau, les feuilles dentelées sont clairement séparées des deux gousses, plus basses et plus petites. Une tête émerge du feuillage tandis qu’au cloître, la forme est lancéolée. Les sculpteurs du cloître de Saint-Martin privilégient l’interprétation du mouvement et de la composition des éléments plutôt qu’une restitution identique de la structure (forme, taille, emplacement, etc) [Thomas, 2016, p. 238].

 

Les médaillons du décor 

La troisième travée présente d’autres particularités : ses écoinçons sont occupés par un motif rare, probablement connu grâce à des dessins italiens [Guillaume, 2016, p. 247]. Un Bucrane dont les orbites laissent passer des serpents qui dévorent les fruits des deux cornes d’abondance nées des rinceaux sortant de la bouche du bucrane. L’influence italienne apparaît plus évidente dans les thèmes des médaillons du centre et du sud. Les médaillons avec des profils à « l’antique » sont répandus à cette date, en revanche les scènes inspirées de la mythologie sont plus surprenantes dans un enclos religieux1. Dans la dernière travée, les médaillons illustrant Le combat de David contre Goliath et le dieu Pan poursuivant la nymphe Sphinx s’inspirent respectivement des plaques de bronze de Moderno (vers 1507) et de Fra Antonio da Brescia (vers 1505) qui circulent en France à partir des années 1510 [Cospérec, 2003, p. 330].

 

L’arrivée du répertoire à « l’antique » et l’influence italienne augmente les motifs à disposition des sculpteurs qui n’hésitent pas à mélanger le gothique flamboyant et ce nouveau répertoire Renaissance. Les premières travées construites modélisent des ornements italiens insérés tels quels dans la structure gothique : des rinceaux à l’italienne avec des épais feuillages encore gothiques. À mesure que la construction des travées avance, les sculpteurs français acquièrent la maîtrise des modèles italiens et se permettent de s’en affranchir : les rinceaux deviennent plus fins et immatériels, soutenant aisément sans plier des oiseaux ou des corbeilles malgré leurs poids.  Ainsi, c’est le mouvement du rinceau qui séduit les sculpteurs français et non une représentation réaliste des éléments végétaux à l’état naturel.

 


Note de bas de page

1 Les chapiteaux de l’ancienne église Notre-Dame-de-la-Couldre à Parthenay et de l’église Notre-Dame à Bagas illustrent tous deux le combat de David contre Goliath. Des sculptures d’animaux mythiques se retrouvent également dans certaines églises, par exemple, le sphinx sculpté dans l’église Saint-Vivien à Bagnizeau. Ces exemples sont assez rares comparés aux scènes bibliques plus traditionnelles.


 

Bibliographie et sources

Archives départementales du Nord, Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790, B 2221. (Portefeuille.) — 454 pièces, parchemin ; 8 sceaux. 1 janvier 1511 — 31 décembre 1511.
Base POP, PA00098131.
« Cloître Saint-Martin », Atlas archéologique, Tours, Inrap.
Cospérec Annie, « Le cloître de la basilique Saint-Martin de Tours », dans Congrès archéologique de France, n°155, Paris, éd. Société française d’archéologie, 1997, p. 329-333.
Guillaume Jean, « L’architecture “antique” à Tours: premières expériences », dans Art et société à Tours au début de la Renaissance, éd. Brepols, 2016, p. 241-254.
Littré Émile, Dictionnaire de la langue française…, T. 1, Paris, 1873-1874.
Monsnyer Raoul, Celeberrimae Sancti Martini Turonensis ecclesiae ad Romanam nullo medio pertinentis jura propugnata, Paris, 1633, vol.2, fol. 333, Bibliothèque municipale Tours, ms 1294-1295.  Archives départementales du Nord, B. 2221.
Noizet Hélène,  « Chapitre XXII. Les réalités ecclésiastiques de la fabrique urbaine » et « Chapitre XIX. L’enfermement des chanoines dans le cloître » dans La fabrique de la ville : Espace et sociétés à Tours (IXe-XIIIe siècle) [en ligne]. Paris : Éditions de la Sorbonne, 2007 (généré le 20 janvier 2022).
ReViSMartin, Renaissance Transmedia Lab, Université de Tours.
Thomas Évelyne,  « Le répertoire ornemental « Tours 1500«  », dans Art et société à Tours au début de la Renaissance, éd. Brepols, 2016, p. 233-240.
Thomas Évelyne,  « Quand l’architecture se fait ornement », dans Tours 1500, capitale des arts, éd. Somogy éditions, 2012, p. 105-109.


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