Ce bas-relief a été découvert en 1849 dans la cave d’une maison de l’ancienne rue Saint-Martin (actuelle rue des Halles), à l’emplacement de l’ancienne église Notre-Dame-de-l’Écrignole. L’édifice, dont les origines remontent au VIe siècle, fut vendu et détruit après la suppression de la paroisse en 1782. L’œuvre fut offerte à la Société archéologique de Touraine en 1896 puis entreposée dans les réserves de la basilique Saint-Martin jusqu’en 1942. Depuis cette date, elle est exposée dans le bas-côté est.
Le relief, qui fut sculpté dans de la pierre calcaire, présente trois hommes et trois femmes agenouillés sur une estrade devant le Christ bénissant. Les figures en prière tiennent un bourdon et portent un chapeau et une besace en bandoulière à la manière des pèlerins. Les hommes sont vêtus d’une chlamyde, d’une tunique courte et ils sont chaussés de bottines alors que les femmes portent un mantelet par-dessus une longue robe. Bien que les visages soient endommagés, on peut encore constater que le sculpteur a cherché à hiérarchiser les groupes en fonction de l’âge. En effet, les deux premiers personnages de chaque groupe semblent être les aînés : leur corps est en effet plus lourd que celui de leurs compagnons et l’homme souffre de calvitie. Les figures placées derrière eux mais sur le même plan sont dans la force de l’âge, elles sont dans une attitude dynamique et l’homme est assez athlétique. Enfin, les personnages en retrait sont de jeunes adultes, l’absence de voile indique notamment que la femme n’est pas encore mariée. Le Christ se tient debout, en appui du côté droit, avec la jambe gauche légèrement pliée. Contrairement aux autres figures, il est représenté frontalement. Seule sa tête, qui est auréolée de rayons lumineux, est légèrement tournée vers les pèlerins. Il est revêtu d’un manteau, d’une chemise et d’une longue tunique qui laisse entrevoir le bout des orteils.
En dépit de certaines incohérences concernant les dimensions, l’ouvrage semble correspondre à un relief de la chapelle de la Miséricorde de l’église Notre-Dame-de l’Écrignole signalé en 1780 par Benoist de la Grandière dans son Abrégé chronologique et historique de la mairie de Tours. L’auteur, qui écrit deux ans avant la destruction de l’église, décrit un panneau où « étoient en bas-relief des figures de la hauteur de six à sept pieds, représentant trois pèlerins et trois pèlerines à genoux ». Les armes des De la rue, qui sont sculptées dans la partie inférieure du relief, rappelle que les membres de cette famille faisaient partie des bienfaiteurs de la paroisse. En effet, Jean De la Rue, seigneur de la Côte et conseiller du roi, fit construire la partie occidentale de l’église et se fit représenter avec son épouse dans des vitraux. Son fils Marc, qui fut maire de Tours en 1535, fit bâtir la chapelle de la Miséricorde où il fut inhumé [Grandière, p. 54].
La scène illustre le texte gravé dans le registre inférieur :
Domine, peregrini sumus coram te et advene
sicut omnes patres nostri. Dies nostri /
quasi umbra super terram et nulla est mora ; fac,
Domine, misericordiam cum /Ô Seigneur, nous sommes comme des voyageurs devant vous ainsi que l’ont été tous nos pères. Nos jours passent comme l’ombre sur la terre et nous n’y demeurons qu’un moment. Seigneur, sois miséricordieux avec tes serviteurs. Ne nous abandonne pas, Ô Seigneur Dieu.
Les deux premiers vers sont tirés des Paralipomènes (livre I, 29 ; 15), deux livres de l’Ancien Testament qui constituent un supplément au Livre des Rois. Dans les versets précédents du texte d’origine, David proclame qu’en dépit de toutes les offrandes qu’il a faites pour construire un temple à Dieu, seul celui-ci est digne de louanges. Le texte pourrait faire ainsi écho à la construction de la chapelle de la Miséricorde par Marc de la Rue qui chercherait alors à rester humble malgré son geste généreux. Certains éléments du relief se rapportent directement au texte biblique. La composition des groupes par générations évoque la référence aux aînés (« ainsi que l’ont été tous nos pères ») et les rayons lumineux autour de la tête du Christ – qui remplace la traditionnelle auréole sphérique – symbolise la gloire divine éternelle et, par opposition, la brièveté du passage des hommes sur terre.
La fêlure au milieu du panneau indique qu’il a été brisé en deux.
Malgré cela, son état est plutôt bon, à l’exception des visages qui ont été vandalisés. Lorsque Lambron de Lignim décrit le relief en 1855, celui-ci est peint : les chlamydes sont bleues et les robes des femmes, « de diverses couleurs », sont « dorées ». Des traces de cette polychromie, qui ne semble pas être d’origine, sont aujourd’hui encore visibles. On peut également observer une couche plus ancienne de badigeon jaune beige que l’on retrouve également sur la statue de Saint Jacques découverte au XIXe siècle près de Notre-Dame-de-l’Écrignole et conservée également dans la basilique. Les deux œuvres, qui partagent une même iconographie, faisaient-elles partie du même décor? Lambron de Lignim ajoute que deux des femmes du relief avaient « la tête entourée de voiles élégants » et que les cheveux de la troisième étaient « nattés et rattachés sur le sommet de la tête ». Dans l’état actuel du relief, il est difficile de donner de telles précisions. En outre, la polychromie de 1855 a presque complètement disparu. Tout cela amène à s’interroger sur la date des dégradations.
Le sculpteur, resté anonyme, a cherché à créer du mouvement en variant les attitudes et les gestes des figures. Cet effet est également accentué par l’envol du manteau de l’homme fermant le groupe de droite. L’artiste parvient ainsi à rompre la monotonie qui caractérise ce type d’œuvre où traditionnellement les personnages sont disposés de profil les uns derrière les autres. Ici, la composition tripartite présentant une des figures en retrait permet de suggérer la profondeur. Les drapés adhèrent aux corps et laissent apparaître les formes, en particulier sur le torse du Sauveur. La musculature bien dessinée qui affleure sous la chemise de ce Christ au corps idéalisé indique que le sculpteur connaissait les modèles classiques de la Renaissance italienne.
Bibliographie
Benoist de La Grandière Louis, « Abrégé chronologique et historique de la mairie de Tours », dans Mémoires de la Société archéologique de Touraine, T. 47, 1908, p. 53-55.
Droguet Vincent, Réau Marie-Thérèse, Tour, décor et mobilier, Orléans, Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France, 1993, p. 37.
Lambron de Lignim Henry, « Notice sur un bas-relief de l’ancienne église de Notre-Dame de l’Écrignole », dans Mémoire de la Société archéologique de Touraine, T. V, 1855.