Pont d’Eudes dit Vieux-Pont

Localisation :

Tours, sur la Loire

Dates :

1034/1037-1786

État du batiment :

Détruit

Pont d’Eudes, détail de La fort ancienne et noble ville de Tours, Claes Jansz Visscher, 1625, gravure, Tours, Bibliothèque municipale, Ic. 2894/1-4.
Crédits : © Bibliothèque municipale de Tours, cliché F. Joly

Située entre la Loire et le Cher, la ville de Tours est implantée sur un plateau marécageux traversé de plusieurs cours d’eau qui relient les deux fleuves. Cette situation géographique nécessita très tôt la construction de ponts dont les deux principaux sont le pont Eudes sur la Loire et le pont Sainte-Anne qui enjambe le ruau du même nom.

 

Le pont d’Eudes

Enjambant la Loire et permettant ainsi de relier la rive sud à la rive nord du fleuve, le pont Eudes est l’un des plus anciens ponts médiévaux de la cité. Sa construction, entre 1034 et 1037, est due à Eudes II, comte de Blois [Boisseuil, 1992, p. 11]. Le tracé du pont débutait aux pieds du château de Tours et s’achevait à proximité de l’église Saint-Symphorien, quasiment à l’emplacement de l’actuel pont de fil. Composé d’une vingtaine d’arches, il était divisé par l’île de l’Entrepont en deux segments, l’un en pierre, l’autre en bois [Chevalier, 1983, p. 21].

Très tôt, le pont et l’île de l’Entrepont se sont peuplés. Une chapelle dédiée à Saint-Ciquault – et qui donna son nom à l’arche qui la portait – est attestée dès 1403. Le pont comportait également plusieurs habitations qui sont visibles sur les représentations du milieu du XVIIe siècle. On sait peu de choses de ces maisons construites sur le pont si ce n’est que vers 1589, elles furent détruites dans un incendie [Lesourd, 1895, p. 527].

Ces grands ponts de Loire, comme ils sont parfois désignés, sont fragiles et soumis aux aléas du fleuve. Bas, ils sont souvent submergés lors des crues. En 1391, deux arches sont emportées par la montée des eaux [Lesourd, 1895, p. 523]. La question des réparations des ponts pose souvent problème. En 1410, lorsque l’arche Saint-Ciquault, côté Saint-Symphorien, menace de s’effondrer, personne ne veut prendre en charge les travaux. La ville considérait que le coût des réparations devait être assuré par le chapitre de Marmoutier, sur le fief duquel le pont se trouvait. Le procureur du roi dut intervenir et menacer les chanoines de leur empêcher l’accès à la cité s’ils ne procédaient pas aux travaux [Lesourd, 1895, p. 524]. En 1461-1462, deux inspections ont lieu au niveau de l’arche Saint-Ciquault. La première vise la porte de l’arche, la seconde la bastille neuve qui menace de s’effondrer [Renumar, 1461-1462 ; Renumar, 20 juillet 1462]. Sous le mandat de Pierre Morin, en 1500-1501, trois arches du pont sont réparées. À peine 30 ans plus tard, avant 1532, il est déjà question de nouveaux travaux sur ces trois mêmes arches. Un devis, non daté, détaille les réparations à prévoir [Renumar, 1516-1517]. Dans les années 1520, la ville commença à construire des arches en pierre pour consolider l’édifice. En 1557, on procède à une nouvelle réparation d’une arche du pont à l’initiative du maire Robert Fichepain [Renumar, 28 octobre 1557].

 

Rôle économique

Le pont est une source de revenus importante qui n’est pas négligée par les acteurs de la cité. Dès 1389, des moulins furent installés au niveau des arches du pont avec l’autorisation de la municipalité. Les élus se voyaient ainsi gratifiés de 15 sols par an [Lesourd, 1895, p. 523]. Il existait plusieurs types de moulins, tous se regroupaient dans la même section de l’édifice qui fut appelée rue des Moulins. La majeure partie d’entre eux était dit « penduz », c’est-à-dire qu’ils étaient placés sur une plateforme sur pilotis et fixés à la structure du pont. D’autres étaient sur des bateaux amarrés aux piles du pont [Boisseuil, 1992, p. 26]. Jacques de Beaune et sa famille avaient bien compris l’intérêt financier de ses moulins. En 1522, Guillaume de Beaune obtint, grâce à son père Jacques, l’autorisation de faire construire un moulin sous la quatrième arche du pont sur la Loire [Spont, 1895, p. 193].

Lorsqu’on procéda à la reconstruction du pont, en 1432, un système de bacs fut mis en place pour assurer la traversée du fleuve. Là encore, Marmoutier et la municipalité s’opposèrent au sujet de la perception des droits de bacs. À l’issue d’un procès, il fut décidé que les deux institutions se partageraient à hauteur de 50% chacune les bateaux moyennant le paiement de 300 livres au duc d’Alençon qui était seigneur châtelain du comté des Ponts de Tours [Lesourd, 1895, p. 525].

 

Rôle défensif

Un tel pont facilitait trop l’accès aux remparts de la cité en cas d’invasion. La municipalité décida donc de le fortifier. Des travaux sont entrepris dès la fin du XIVe siècle. Une barrière volante est déjà en place en 1404, ainsi qu’une bastille à proximité qui daterait de 1368 [Chevalier, 1983, p. 21]. Cette dernière est complétée, en 1417, d’un portail en pierre doublé d’un pont-levis, à l’extrémité des ponts de bois [Boisseuil, 1992, p. 27]. Malgré ces installations, la ville dut détruire l’une des arches du pont pour stopper l’avancée des troupes anglaises en 1422. Excédée par la présence des troupes imposées par le dauphin après la récupération de Tours en 1418, la municipalité prit, à nouveau, la décision de détruire l’une des arches du pont pour empêcher l’accès à la cité en mars 1424 [Boisseuil, 1992, p. 27]. La même année, un pont-levis est ajouté sur l’Entrepont côté nord. Des hourds, postes d’observation permettant de surveiller les environs, sont également construits et un poste de garde est logé dans l’une des maisons de l’île. Deux ans plus tard, un dernier pont-levis est édifié à l’emplacement de la barrière volante qui est déplacée.

La nécessité de fortifier le pont se fait moins sentir dès le milieu du XVe siècle. La barrière volante est supprimée entre 1459 et 1460. Elle ne sera remplacée par une porte à guichet que 30 ans plus tard. En 1489, le pont-levis et la garde porte situés sur la rive nord de l’Entrepont sont également détruits. Un nouveau pont-levis et un portail de pierre prennent leur place [Boisseuil, 1992, p. 29]. Il ne s’agit plus désormais de renforcer le système défensif du pont, mais de l’embellir.

 

Rôle symbolique

Le pont était l’une des premières portes d’entrée sur la ville. De nouvelles maisons voient le jour au cours du XVe siècle. Les gardes portes devenues obsolètes sont loués dès les années 1460. Les élus décident également d’améliorer le confort des habitants et des voyageurs qui fréquentent le pont. Des latrines publiques sont installées près de la porte d’entrée de la cité. Il s’agissait de cabines avec des portes en bois construites au-dessus du fleuve. Les déchets étaient ainsi rejetés directement dans la Loire et le courant permettait de les évacuer quand le niveau de l’eau était suffisant. Le reste du temps, ils stagnaient au niveau des piles du pont, occasionnant des incommodités dues aux odeurs. Les portes furent ornées par les armes du roi portées par des angelots  [Boisseuil, 1992, p. 31-32]. Dès 1446, le peintre Denis Mauclert se voit confier la réalisation d’un écusson peint représentant les armes de Charles VII destiné à la tour neuve de l’arche Saint-Ciquault [Renumar, 8 août 1446]. L’embellissement et la décoration du pont visaient à en faire une véritable vitrine de la ville et un espace d’accueil digne de la cité royale qu’était Tours.

Malgré les réparations incessantes, le pont, devenu trop dangereux, est progressivement abandonné à partir de 1750. Il reste aujourd’hui plusieurs représentations pittoresques représentant le pont en ruine. Désaffecté en 1784, sa démolition débuta deux ans plus tard [Base POP, IA00071156].

 

Le pont Sainte-Anne

Un autre pont surplombait l’un des ruaux qui reliait le Cher à la Loire. Ce pont, vraisemblablement une simple passerelle de bois dans sa forme primitive, était alors désigné sous le nom de pont Aimery ou Almorie. Ce pontus Almoricus aurait été bâti au haut Moyen Âge. Au début du XIIe siècle, Philippe Aimery y fit bâtir une chapelle qui prit le vocable de Sainte-Anne. Dès lors, la chapelle donna son nom au pont et au ruau qui s’écoulait dessous [Ponts de Tours, 1978-1979, p. 32-33]. La chapelle est mentionnée en 1159 dans une bulle papale d’Alexandre III [Grandmaison, 1874, p. 159]. Le pont Sainte-Anne fut choisi par Philippe-Auguste comme « limite territoriale ». Afin d’assurer la défense de Tours, le pont est détruit à chaque risque d’invasion pour stopper l’avancée de l’ennemi, ce fut notamment le cas en 1417 et en 1422 lorsque les Anglais se présentèrent aux portes de la ville [Pinot de Villechenon, 1978-1979, p. 33 ; Base POP, IA00071156].

 

Pont Sainte-Anne, détail de La fort ancienne et noble ville de Tours, Claes Jansz Visscher, 1625, gravure, Tours, Bibliothèque municipale, Ic. 2894/1-4.
Crédits : © Bibliothèque municipale de Tours, cliché F. Joly

 

Soumis aux aléas des fleuves, le pont subit plusieurs réparations avant 1489. Les crues subites de la Loire et du Cher venaient gonfler le cours du ruau et ainsi endommager le pont. La municipalité prit la décision de le reconstruire en pierre en 1490. La réalisation fut confiée à l’architecte maître des œuvres de maçonnerie et de charpenterie du roi en Touraine Jean Regnart [Pinot de Villechenon, 1978-1979, p. 33]. Cette maçonnerie en pierre apparaît assez tardive au vu de l’importance que ce pont pouvait revêtir pour la ville. Il présentait en effet un intérêt stratégique pour la cité tourangelle, mais aussi pour la couronne. Il permettait non seulement d’acheminer les marchandises vers la ville, mais il desservait également le château du Plessis-lès-Tours devenu résidence royale sous Louis XI.

la fin du XVIe siècle, le pont reçut une ornementation. En 1581, la ville demanda à Lydoire Sainctier, maître maçon et sculpteur, de réaliser des armoiries de la ville et du maire pour installer sur une des piliers [Base POP, IA00071156].

À peine quelques années plus tard, en raison du rude hiver de l’année 1608-1609, le pont doit subir d’importants travaux. Après sollicitation du roi et de Sully pour une aide financière [Ponts de Tours, 1978-1979, p. 33], le pont est en partie reconstruit en 1645 par Pierre Berthelin [Base POP, IA00071156]. Ces réparations n’auront pas suffi à sauver le pont. Pierre Cluzel, intendant de la généralité de Tours, fait détruire le pont entre 1774 et 1777. Le ruau est asséché et c’est sur cette zone marécageuse que M. Margueron établit le Jardin botanique [Pinot de Villechenon, 1978-1979, p. 33].

 

Les autres ponts de Tours

D’autres ponts existaient à Tours bien que moins connus. On peut notamment citer le pont Saint-Éloi. Enjambant lui aussi un des ruaux de Tours – le ruau de l’Archevêque – , ce pont doit son nom à sa proximité avec le prieuré du même nom (aujourd’hui au niveau des archives municipales). Plusieurs réfections du pont ont lieu entre 1408 et 1560. Trois arches sont notamment réalisées par Alexandre Ier Robin entre 1535 et 1540 [Pinot de Villechenon, 1978-1979, p. 33].

Un autre pont, le pont Saint-Lazare, enjambait, lui aussi, le ruau de l’Archevêque [Lépreux et maladrerie, p. 236]. Sa localisation précise pose en revanche problème. Cette identification problématique est notamment due au fait que le pont portait plusieurs noms. On le trouve tour à tour sous le vocable de pont Saint-Ladre, Saint-Lazare ou Guyon. Si l’on se préfère à ses deux premières appellations, le pont aurait été situé à proximité de la maladrerie qui portait elle aussi le nom de Saint-Ladre ou Saint-Lazare [Pinot de Villechenon, 1978-1979, p. 34-35].

 

Bibliographie

Boisseuil Didier, « Le pont sur la Loire à la fin du Moyen Âge », dans Recherches sur Tours, Vol. 6, Tours, 1992, p. 13-77.
Chevalier Bernard, Tours ville royale. 1356-1520, Chambray, C.L.D., 1983.
Lesourd Paul, « Histoire des ponts de Tours », dans Bulletin de la Société archéologique de Touraine, T. 10, 1895, p. 520-539.
Pinot de Villechenon Marie-Noël, Toulier Bernard et Moreau Véronique, Ponts de Tours. Traversée des fleuves et des ruaux du Moyen Âge à nos jours, Catalogue d’exposition (16 décembre 1978-11 février 1979) Tours, Édition du Musée des Beaux-Arts, 1978-1979.
Spont Alfred, Semblançay (?-1527). La bourgeoisie financière au début du XVIe siècle, Paris, Hachette et Cie, 1895.


Lien vers la fiche associée :

Pont d’Eudes dit Vieux-Pont