Tours, 1-3 place Foire-le-Roi ; rue Benjamin Constant
Cette maison en pan de bois est située à l’angle de la rue Benjamin Constant (autrefois rue de derrière les murs de ville) et de la place Foire-le-Roi. En 1484, l’abbaye Saint-Julien lotit la partie de la place Foire-le-Roi appartenant à son fief [Chevalier, 1983, p. 222-223]. Le terrier de Saint-Julien de 1761 présente la disposition des parcelles, occupées par des maisons au plan identique qui pourrait indiquer un habitat sériel (notamment les n°182 à 187). De cette campagne de construction résulte un parcellaire laniéré. La maison n°1-3 place Foire-le-Roi s’adapte plutôt à une parcelle d’angle. L’accès s’effectue par la rue secondaire (rue Benjamin Constant). D’après le terrier (n°181, en rouge), la parcelle s’étendait plus en longueur ; des corps de bâtiment parallèles à la rue Benjamin Constant encadraient une cour. Un couloir reliant plusieurs caves atteste encore des dimensions de la parcelle du XVIIIe siècle.
Cette maison s’élève sur des caves, un rez-de-chaussée, deux étages et un niveau de comble. La façade sur la place comprend deux travées inégales, celle de gauche étant moins large. Un essentage en ardoise couvrait les façades en pan de bois, aujourd’hui découvertes sur la place et enduites sur la rue Benjamin Constant.
La fonction des pièces est mentionnée dans la description du terrier de 1761, certes postérieure à la période qui nous intéresse, mais néanmoins éclairante [AD 37, H 528] :
« Article 181 A et B. Le s(ieu)r Jean Gaultier maitre tainturier à Tours et dame Françoise Gatien son épouze pour une grande maison sittuée à l’occident de la place de la foire le Roy et au midy de la petite rue de derrière les murs de ville tendante à l’arcenal à la même place de la foire le Roy consistant en plusieurs appartements se joignant les uns les autres composés l’un sur lad(ite) place d’une cave voûtée, deux chambres basses à cheminées, quatre chambres hautes et deux cabinets aux premier et second étages, grenier comble dessus couvert d’ardoise, couloir gallerie, aizances, une cour en partie couverte d’un ballet où sont les fourneau chaudières servant à la tainture, un puy. Un autre appartement au bout composé d’une cave voûtée, une chambre basse à cheminée au-dessus, cabinets à costé, une grande chambre haute, cabinet à costé grenier comble dessus couvert d’ardoise, un autre cabinet, un espace au bout où est un autre puy, une autre cour pavée, une cave voûtée dessous, écurie, aizances, galleries, deux cabinets sur l’entre d’une allée communauté à cette même allée qui Traverse de la rue de la Moquerie dans laditte rue derrière les murs, égoûts d’eaux en déppendants […] ».
Les boutiques occupent les pièces du rez-de-chaussée ouvrant sur la place, très active économiquement à la Renaissance. Les espaces privés se déploient aux étages supérieurs. Une séparation entre l’espace privé et l’espace commercial s’établit grâce à l’escalier en vis dans-œuvre relié au couloir donnant sur la rue secondaire. Avec une telle distribution intérieure, les deux corps de bâtiments sont dépendants l’un de l’autre. Trois pièces prennent place au premier étage. Chacune est chauffée par une cheminée sur le mur latéral et les poutres peintes portent une inscription : « dante te illis et replebuntur benedictione » et tu seras comblé de bénédiction [Bonnin, 1979, p. 50, 152-153]. Au XVIIIe siècle, la cour, avec les « fourneau chaudières », est dédiée à l’activité de la teinturerie.
La parcelle est formée de deux corps de maisons construites à pignon sur rue de taille différentes. Si les niveaux de sol correspondent, l’une est étroite et moins haute que l’autre. Ce choix constructif a été dicté par la longueur des bois disponibles pour la construction. De plan carré, l’édification d’une unique maison aurait demandé la réalisation d’une charpente de 10 m de portée, ce qui n’était guère possible. Le soubassement de pierre du rez-de-chaussée résulte sans doute d’une reprise en sous-œuvre car les poteaux présentent des hauteurs différentes comme s’ils avaient été sectionnés en fonction de leur état de conservation [Bonnin, Toulier, 1980, p. 66]. Les étages supérieurs sont construits en encorbellement. L’armature losangée en pan de bois porte un hourdis de brique. La saillie des sablières, assez prononcée, repose sur deux poteaux à tête élargie en bois. Un assemblage identique se retrouve au 32 rue Briçonnet. Deux autres sablières situées à l’aplomb de la façade marquent les changements de niveaux, du deuxième étage et du comble. Elles sont ornées de cavets mourant en sifflet et de larmier à retour reposant sur des culots géométriques. Les petits jours losangés de part et d’autre de la fenêtre du premier étage sont des aménagements du XVIIe ou XVIIIe siècles [Noblet, 2013, p. 208]. Enfin, les combles de cette maison sont couverts de charpentes à fermes débordantes, qui protègent notamment la façade du ruissellement des eaux. Cette maison qui occupe une parcelle d’angle disposait d’un emplacement privilégié. Contrairement à de nombreuses maisons assises dans des rues étroites où l’on ne disposait pas du recul nécessaire pour voir les façades, ici la place permettait d’admirer l’harmonieuse silhouette de cette maison dont les losanges ornent et dynamisent l’ensemble.
Les armatures à losanges sont répandues sur les constructions de tradition gothiques élevées entre le XVe et début XVIe siècles à Tours [Bonnin, Toulier, 1980, p. 63]. Les moulures des sablières et les culots prismatiques caractérisent un gothique tardif, précisant la date autour des années 1490-1510. Si pendant longtemps on a considéré que le lotissement de la place Foire-le-Roi remontait aux années 1471-1484, il semble pourtant que la campagne se soit davantage étalée dans le temps [Chevalier, 1983, p. 222-223].
Bibliographie
Archives départementales d’Indre-et-Loire (AD 37), H 528, plan terrier de Saint-Julien de Tours (XVIIIe siècle).
Base POP, IA00071441 et PA00098228.
Bonnin Martine, Les maisons à Tours au XVème et au XVIème siècles, mémoire de maîtrise d’Histoire de l’Art, sous la direction de Jean Guillaume, CESR-Université de Tours, [1979].
Bonnin Martine, Toulier Bernard, « La maison à pan de bois » dans Toulier Bernard (commissaire), L’architecture civile à Tours des origines à la Renaissance, Mémoires de la Société archéologique de Touraine, série 4°, T. 10, 1980, p. 63-72.
Chevalier Bernard, Tours, ville royale (1356-1520). Origine et développement d’une capitale à la fin du Moyen Age, Louvain et Paris, Vander-Nauwelaerts (Publications de la Sorbonne. N. S. Recherches, 14 Université de Paris-IV), 1975.
Noblet Julien, « L’architecture en pan de bois à Tours : nouvelles perspectives », dans Alix Clément et Épaud Frédéric (dir.), La construction en pan de bois : Au Moyen Âge et à la Renaissance, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2013.