Ce manuscrit, rédigé dans une belle écriture humanistique, a été enluminé pour Jacques de Beaune par Jean Bourdichon, probablement assisté du Maître de Claude de France, l’un de ses collaborateurs. Après avoir appartenu à Nicolas II Fumé, évêque de Beauvais et abbé de Beaulieu-lès-Loches, qui fit orné la couverture de ses initiales (ici), l’ouvrage passa entre les mains d’Henri-Charles Du Camboust, évêque de Metz, avant d’entrer en 1736 dans les collections royales.
Un missel est un livre liturgique qui, contrairement à un livre d’heures, est destiné aux célébrants. Il contient tous les textes nécessaires à la célébration de l’office avec notamment l’ordinaire (ce qui demeure constant dans la messe), le propre du Temps et le propre des Saints, c’est-à-dire les parties qui varient en fonction du calendrier liturgique ou du saint à célébrer. Le manuscrit lat. 886 est un missel romain à l’usage de l’église de Tours comme le suggère la messe votive à saint Gatien, le premier évêque de la ville (« primi archiepiscopi Turonensis » [f°420v°]), et à saint Maurice, à qui la cathédrale tourangelle était primitivement consacrée. Cette particularité indique que l’ouvrage fut réalisé pour un ecclésiastique tourangeau, ce que vient confirmer les armes de Jacques de Beaune, l’un des fils du grand financier, qui ont été peintes dans des écussons accompagnées d’une crosse (f°10r°) avant d’être recouvertes de peinture bleue à une date inconnue. Jacques de Beaune fut évêque de Vannes entre 1504 et 1511 ; il fut élu doyen du chapitre de Saint-Gatien de Tours en 1506 et nommé vicaire général et administrateur de l’archevêché de Tours en 1509. Il convient donc de placer la réalisation de l’ouvrage entre 1506 et 1511, lorsque Jacques remplissait simultanément une charge épiscopale (d’où la présence de la crosse) et diverses fonctions à Tours.
Le Missel de Jacques de Beaune se distingue par ses marges à candélabres, ce qui lui confère un aspect précieux et luxueux, alors que l’iconographie demeure classique et assez proche de celle des Grandes Heures d’Anne de Bretagne [Avril, 1993, p. 302]. Le motif du Candélabre cerné de rouge ou de mauve avait été introduit en France quelques années auparavant par l’Italien Giovanni Todeschino dans les Heures de Frédéric d’Aragon. Bourdichon, qui collabora à la décoration du manuscrit du roi déchu, reprend ce motif en variant son utilisation selon les compositions. Dans six feuillets (par exemple l’Assomption au f°328), de grandes peintures sont encadrées par deux candélabres latéraux posés sur un stylobate orné en son centre d’un écu aux armes du propriétaire. Dans les douze autres peintures de même dimension, le stylobate est absent. Les vignettes de dimension plus modeste sont flanquées d’un seul candélabre. Le calendrier présente une configuration encore différente : les deux candélabres latéraux sont accompagnés de deux vignettes horizontales en haut et en pied de page qui sont ornées du signe du zodiaque et d’un des travaux de chaque mois. Au feuillet 190r°, le peintre reprend le modèle des encadrements des grandes miniatures tout en remplaçant le stylobate par le tombeau du Christ recouvert du linceul ensanglanté. Le candélabre devient alors un support d’exposition des instruments de la Passion, certains objets comme la croix et la colonne se substituant même aux éléments de décor verticaux.
Les peintures de l’ouvrage n’occupent jamais une pleine-page. Les figures sont par conséquent assez trapues et moins monumentales que dans des Grandes Heures d’Anne de Bretagne. Si Bourdichon a bien essayé d’adapter les proportions des architectures à la taille des images, il semble moins à l’aise avec les petits formats horizontaux. La maîtrise de l’espace et des volumes est parfois maladroite, à l’image du Baiser à la Porte dorée (f°275r°) où la construction de la perspective et le développement des remparts en arrière-plan sont moins convaincants que dans La charité de saint Martin peinte dans le manuscrit royal.
Bibliographie
Avril François, Reynaud Nicole, Les Manuscrits à peinture en France, 1440-1520, catalogue de l’exposition de la Bibliothèque nationale de France du 16 octobre 1993 au 16 janvier 1994, Paris, Flammarion, 1993, cat. 165.
Leroquais Victor, Les sacramentaires et les missels manuscrits des bibliothèques publiques de France, T. III, Abbé Leroquais, Paris, 1924, p. 263-266.