Les maisons en pans de bois

Localisation :

Tours

Dates :

XVe siècle ; XVIe siècle

État du batiment :

Conservé

Maison en pan de bois – 1 place du Grand-Marché.
Crédits : Photo © Léa Dupuis

Le pan de bois, également connu sous le terme de maison à colombages, est un ensemble de pièces de charpente assemblées dans un même plan. Sa structure est composée d’une ossature principale formant la charpente d’un mur ou d’une cloison, d’une ossature secondaire (à grille, à losange ou à croix de Saint-André) et d’un remplissage appelé hourdis (maçonnerie légère de brique, torchis, pierre, plâtre, etc.) [Alix, Épaud, 2013, p. 511].

 

Général

La ville de Tours, qui connaît à partir des années 1450 une forte croissance démographique, développe sa surface bâtie au cours des XVe et XVIe siècles. Le milieu de la construction, tant en pierre qu’en bois, est en proie à une grande activité [Alix, Épaud, 2013, p. 244]. Les maisons en pan bois prédominent aux XVe et XVIe siècles, malgré la présence de nombreuses carrières de pierre proches de la ville et facilement accessibles par voie d’eau. L’augmentation du prix de la pierre au cours du XVe siècle, trois fois plus élevé que celui du bois, a renforcé cette prédominance [Bonnin, Toulier, 1980, p.63]. En outre, la proximité des forêts et le développement du commerce du bois facilitent l’usage de ce matériau pour l’ossature principale de la maison (murs, planchers, charpentes). Dans ces constructions, la pierre était réservée aux conduits de cheminée (parfois en brique aussi) et à la création de murs mitoyens pare-feu, afin de limiter la propagation des incendies [Alix, Noblet, 2012, p.115].

Actuellement, de nombreuses maisons en pan de bois présentent des façades en pierre qui ont remplacé lors de campagnes d’alignement la façade primitive ou sont couvertes d’un enduit ou d’un essentage d’ardoises (rue du Commerce, rue de la Scellerie). Ces maisons ont également subi des destructions liées à l’incendie de juin 1940 et aux importants travaux d’urbanisme conduits par Jean Royer, maire de Tours entre 1959 et 1995 [Alix, Épaud, 2013, p. 244]. Les bords de Loire, jadis occupés par les demeures des mariniers, tanneurs et poissonniers, qui à la différence de celles du quartier du Petit Saint-Martin ne présentaient pas un état de délabrement avancé, ont dans les années 1960 été progressivement rasées pour laisser place, dans un premier projet, à des barres d’immeubles. Le prédécesseur de Jean Royer avait au contraire lancé dès le milieu des années 1950 des procédures municipales visant à encourager la réhabilitation de cet habitat, notamment celui bordant l’actuelle place Plumereau. Néanmoins, cette campagne initiée au début des années 1960 – et qui se prolongea jusqu’au milieu des années 1980 – s’accompagna d’agrandissement de parcelles au coeur d’îlots (cloître Saint-Pierre-le-Puellier, place de la Monnaie), occasionnant à nouveau une grande perte de bâtiments médiévaux [Alix, Épaud, 2013, p. 245-47]. 

Néanmoins, des maisons en pan de bois subsistent autour de la place Plumereau, dans le quartier de la cathédrale, le long de la rue Colbert – reliant les deux anciens pôles urbains, la cathédrale Saint-Gatien à l’est et la collégiale Saint-Martin à l’ouest – ou encore dans les rues des anciens faubourgs de Sainte-Radegonde (quartier Paul-Bert, rue Losserand, rue de l’Ermitage), de Saint-Pierre-des-Corps (quartier Blanqui) et de La Riche (rue Courteline, rue Lamartine, rue de la Hallebarde) [Alix, Épaud, 2013, p. 253]. 

Le plan et la distribution des maisons sont le plus souvent étirés en profondeur, ou « laniérés ». Ils imposent la construction du corps de bâtiment principal en front de rue, suivi d’une cour au fond de laquelle s’élève un bâtiment postérieur ; des coursières ou des galeries attenantes à l’escalier desservant les étages relient les deux espaces d’habitation (23-27, 39-41 et 48 rue Colbert) [Noblet, 2013, p.209]. Les maisons d’angle offrent quant à elles assez de recul pour admirer leurs façades dégagées sur deux fronts de rue, dont l’un correspond à un axe fort de la ville.

Ces maisons, ayant majoritairement pignon sur rue, présentent une grande variété dans la mise en œuvre de l’encorbellement des étages : la solution la plus simple consiste à faire reposer le surplomb sur les solives ou les poutres débordantes du plancher (3 rue de la Serpe) ; des techniques plus élaborées utilisent divers supports comme des corbeaux (11 rue Constantine ; 68 rue Colbert), des aisseliers, des consoles (1 Rue du Dr Hermary). À Tours prédominent les poteaux à tête élargie, dont l’utilisation entraîne une multiplication d’assemblages complexes entre les pièces de bois. En contrepartie, ce type d’encorbellement, particulièrement associé à des maisons d’angle, est propice au développement d’un décor remarquable (2 rue du Change, 1 rue du Change, 1 place du Grand Marché) [Alix, Épaud, 2013, p. 252-253]. 

Quant au décor, il associe de nombreux motifs propres à l’esthétique gothique flamboyante comme les accolades à crochets au-dessus des portes ornées de choux frisés (23 rue Colbert), les engoulants aux extrémités des sablières (32 rue Briçonnet), les croisées et demi-croisées aux angles supérieurs arrondis, aux encadrements à tores, aux jambages et aux meneaux qui retombent sur des bases prismatiques ainsi que les appuis saillants (1 rue du Change) et les sablières ornées de larmier à retour reposant sur des culots géométriques (1-3 place Foire-le-Roi). Par la suite, autour du milieu du XVIe siècle, des ornements issus du vocabulaire de la première Renaissance apparaissent, comme les frises de Denticule d’oves et de palmettes,  les pilastres à disques ou losanges (39-41 rue Colbert, 1 rue du Change, 1 place du Grand-Marché). Ces motifs restent cependant plus rares.

Une grande variété s’observe également dans les ossatures secondaires, des plus simples dites à grille (39-41 rue Colbert,) aux plus complexes constituées de panneaux de croix de Saint-André (8 rue Colbert) ou d’un treillage resserré formant de petits losanges (32 rue Briçonnet). Quant au hourdis, les textes mentionnent l’usage de torchis, notamment pour les cloisons intérieures ; il semble toutefois que les briques liées au mortier furent particulièrement recherchées pour créer des réalisations décoratives, comme on le remarque encore sur les façades de la maison à l’angle du 1 rue du Change et 2 rue du Grand-Marché. Peu d’exemples de hourdis en pierre de taille sont connus [Alix, Épaud, 2013, p. 255]. 

Des marques de charpenterie sur les colombes témoignent de la numérotation portée sur les bois pour leur montage (32 rue Briçonnet, 48 rue Colbert, etc..). Le pan de bois est ouvragé et numéroté chez le charpentier (des chiffres issus de la numérotation romaine ainsi que des signes donnant des indications de montage). Puis il est démonté et transporté jusqu’à la parcelle de l’édifice où il est remonté au sol puis levé en façade. La cohérence de la numérotation des pièces de charpente indique que le bâtiment n’a pas été modifié [Alix, Épaud, 2013, p. 205]. Pour couvrir ces maisons, les charpentes de comble à chevrons-formant-fermes et à ferme débordante, relativement sophistiquées, perdurent au-delà de 1500 à Tours, alors qu’à la même époque des charpentes à pannes étaient préférées dans les habitations orléanaises ou amboisiennes [Alix, Épaud, 2013, p. 254].

 

Spécificité ossature secondaire

Le pan de bois à grille

Le pan de bois à grille associe une armature verticale composée de poteaux et de tournisses raidis par des pièces obliques, les décharges [[Alix, Épaud, 2013, p. 255]. L’assemblage de l’allège des fenêtres adopte des formes diverses : potelet (23, 25 et 27 rue Colbert), croix de Saint-André (48 rue Colbert) ou encore V renversé (39-41 rue Colbert). De conception simple, le pan de bois à grille est très couramment employé soit sur toute la façade sur rue ou sur cour (39-41 rue Colbert 23, 25 et 27 rue Colbert), soit uniquement pour le ou les pignon(s) (68 rue Colbert ; 1 place du Grand-Marché), soit limité à la façade sur la rue secondaire (41 rue du Grand-Marché ; 11 rue Constantine) ou encore, pour les maisons d’angle, à la fois sur le ou les pignon(s) et sur la rue secondaire (15 place du Grand Marché; 1 rue du Change).

Maison – 23, 25 et 27 rue Colbert.
Crédits : Photo © Ophélie Delarue.

 

Le pan de bois à losange

Le pan de bois à losange se compose d’un réseau très resserré de décharges, de guettes et d’éperons assemblés à mi-bois qui forme un étroit quadrillage de losanges très décoratif. À Tours, et dans d’autres villes ligériennes comme Blois ou Chinon, les armatures à losanges caractérisent plutôt des constructions dites « gothiques » qui se développent vers 1500 (XVe et début XVIe siècles). À l’inverse, les ossatures à croix de Saint-André sont moins nombreuses dans ces villes contrairement à Orléans où le pan de bois à croix de Saint-André prédomine [Alix, Épaud, 2013, p. 284]. Dans les maisons d’angle, le losange est réservé à la façade principale et la façade sur la rue secondaire est en pan de bois à grille. Dans la continuité de ce qui a été observé pour les croix de Saint-André au cours du XVIe siècle, ces ossatures à losanges s’accompagnent d’un accroissement de la densité des pièces de bois sur la surface de la façade, le quadrillage se resserre. La multiplication des assemblages nécessite donc un temps de travail et un coût de réalisation plus important que les autres armatures, ce qui implique un usage réservé à des commanditaires plus fortunés [Alix, Épaud, 2013, p. 284]. Des constructions dites « gothiques » présentant une façade principalement en pan de bois à losange s’observent aux : 48 rue Colbert ; 13 place du Grand-Marché ; 11 rue Constantine ; 1-3 place Foire-le-Roi et 32 rue Briçonnet. Celles montrant une ossature secondaire mixte incluant des losanges sont illustrées par les 5 rue du Serpent Volant et 15 place du Grand Marché

Maison – 32 rue Briçonnet.
Crédits : Photo © Léa Dupuis

 

Le pan de bois à croix de Saint-André

Selon l’étendue de la façade, chaque étage est divisé en registres dans le sens de la hauteur et en compartiments dans le sens de la largeur par des poteaux de remplissage avec des motifs en croix de Saint-André. La largeur de deux petits compartiments est réservée à la Croisée [Bonnin, Toulier, 1980, p.63]. En règle générale, chaque étage se divise en deux registres, sans compter les fenêtres qui en occupent une surface équivalente à quatre compartiments. Ce nombre prédéfini de compartiment s’explique par la largeur des maisons qui n’excède pas 7 m, largeur correspondant aux dimensions des bois utilisables d’un seul tenant pour fixer les sablières et solives des maisons et dont le paramètre est quasiment invariable [Bonnin, Toulier, 1980, p.53]. Toutes à deux registres, les façades de la maison des Quatre Fils Aymon au 1 place du Grand Marché se divise en quatre compartiments sur la place et huit compartiments sur la rue secondaire et celles de la maison 1 rue du Change se divisent également en quatre compartiments sur la place Plumereau. Les autres présentent une ossature secondaire mixte, la maison 15 place du Grand-Marché ne possède qu’un seul compartiment et le reste est en losange tandis que la maison 68 rue Colbert se divise en trois compartiments et le reste est à grille. Enfin, la maison 5 rue du Serpent Volant dispose de quatre compartiments latéraux et le centre est à losange. Certaines maisons limitent l’emploi du pan de bois en croix de Saint-André à l’assemblage de l’allège de fenêtre (48 rue Colbert ; 32 rue Briçonnet ; 11 rue Constantine ; 1-3 place Foire-le-Roi).

Maison – 2 rue du Grand-Marché.
Crédits : photo © Léa Dupuis

 

L’essentage en ardoise

L’essentage est un revêtement d’essentes ou d’ardoises sur une paroi verticale. Il protège les constructions des intempéries et contribue à leur étanchéité. Le terme de bardage, parfois utilisé, est plutôt à réserver au revêtement de bois [Alix, Épaud, 2013, p. 508]. Les maisons 41 rue du Grand-Marché, 59 place du Grand Marché, 2 rue du Change, 3 rue de la Serpe et 1 rue du Dr Hermary revêtent encore un essentage. Pour beaucoup disparus, les revêtements par un essentage d’ardoises sont attestés à Tours par des photographies du XXe siècle, notamment sur les maisons des Quatre Fils Aymon, 1-3 place Foire-le-Roi, 32 rue Briçonnet et 68 rue Colbert. Des façades en pan de bois sont également représentées avec un essentage d’ardoise sur les dessins Gatian de Clérambault comme à la maison du PélicanDans certains cas, il peut être prouvé que ces revêtements protecteurs furent apposés postérieurement à la construction de la façade puisque des traces de décors sculptés indiquent que l’ossature en bois était initialement apparente. C’est par exemple le cas des vestiges d’un Christ en croix bûché au 32 rue Briçonnet ou de l’encadrement des croisées au 68 rue Colbert et à la maison du Pélican

Maison – 26 rue de la Monnaie.
Crédits : photo © Léa Dupuis

Bibliographie

Alix Clément, Noblet Julien, « Les spécificités des maisons en pans de bois de Tours (seconde moitié du XVe-premier quart du XVIe siècle) », dans Chancel-Bardelot Béatrice et al (dir.), Tours 1500. Capitale des Arts, éd.Somogy/Musée des Beaux-Arts de Tours, Paris-Tours, 2012, p. 115-117.
Alix Clément et Épaud Frédéric (dir.), La construction en pan de bois : Au Moyen Âge et à la Renaissance, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2013. 
Alix Clément, « Les maisons en pan de bois d’Orléans du XIVe au début du XVIIe siècle : bilan de treize années de recherche », dans Alix Clément, Épaud Frédéric (dir.), La construction en pan de bois : Au Moyen Âge et à la Renaissance, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2013.
Noblet Julien, « L’architecture en pan de bois à Tours : nouvelles perspectives », dans Alix Clément, Épaud Frédéric (dir.), La construction en pan de bois : Au Moyen Âge et à la Renaissance, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2013. 
Bonnin Martine, Toulier Bernard, « Les plans-types » et « La maison à pan de bois », dans Toulier Bernard (commissaire), L’architecture civile à Tours des origines à la Renaissance, Mémoire de la Société archéologique de Touraine, in 4°, T. 10, 1980, p. 53-62 et 63-72.