Selon Roger Wieck, conservateur de la Morgan Library, le Livre de prières et le Livre d’Heures proviendraient d’une seule et unique commande effectuée entre 1515 et 1517 par la reine Claude de France. Les deux volumes sont en effet complémentaires et, réunis, leurs contenus correspondent traditionnellement à ceux des livres d’heures. Le peintre qui réalisa les peintures est anonyme. Il est aujourd’hui connu sous le nom de convention du Maître de Claude de France [Wieck, 2014, p. 13].
Le Livre de prières conservé à New York est un livre liturgique copié en latin dans une belle écriture humanistique. Composé de 104 pages et de 132 miniatures, il a la particularité de posséder des dimensions très réduites (7 cm de haut sur 5 de large). La destinataire de cet ouvrage d’une rare finesse peut être facilement identifiée. Il contient en effet plusieurs écussons avec les armes de Claude de France (par exemple aux feuillets 6ro, 15vo, 18vo). La cordelière, un des emblèmes de la reine, encadre la plupart des images. Il ne faut toutefois pas confondre la cordelière scandée de nœuds coulants avec la cordelière ornée de nœuds de concorde qui, dans la Trinité (fo24vo), symbolise la Maison de Savoie dont est issu, par sa mère, François Ier, l’époux de Claude.
Les illustrations tiennent une place majeure dans le Livre de prières. On remarque deux manières différentes de traiter les images, sans que cela implique deux campagnes de création bien distinctes [Wieck, 2014, p. 13]. Dans la plupart des pages, l’enluminure se déploie sous forme de scènes historiées sur les bordures du texte, dans un cadre circonscrit par une cordelière. La zone de texte, disposée sur du parchemin resté vierge, se détache fortement du fond bigarré. Parfois, les images qui semblent être un peu à l’étroit dans les marges débordent sur le texte ( fos 13vo, 32vo, 33vo, etc.). Par endroits, des bustes de saints sont également insérés çà et là entre les lignes au moyen de petites vignettes (fo 31vo-32).
Six miniatures présentent une composition différente. Dans les cinq qui marquent le début des rubriques du livre (fos 1ro, 6ro, 15vo, 18vo et 50vo), les scènes occupent la partie supérieure des pages et sont peintes dans un cadre architectural à l’antique mêlant pilastres, colonnes et candélabres. Le texte – cinq ou six lignes maximum – est placé dans le registre inférieur, sous les images. Seule la Trinité est figurée seule, sans texte sur le feuillet. Elle est construite selon le modèle de la Trinité du Psautier et évoque de façon assez inhabituelle le moment où, avant l’Incarnation, le Christ accepte sa mission salvatrice.
Le Livre d’Heures de Claude de France, qui possède 27 miniatures, affiche aussi des dimensions modestes (8,4 sur 5,5 cm). La présence d’un « C » couronné dans les marges (fo17-17vo) et de prières en faveur du roi Louis XII et d’Anne de Bretagne, les parents de Claude de France (fo95 ; fo119-119ro) |König, 2012, p. 27-28], sont des marques de possession de la propriétaire d’origine. L’artiste ne reprend pas le système des marges historiées sur lequel reposait pourtant l’originalité du Livre de prières. En revanche, tout un décor héraldique associant des cordelières (celles de Claude et de François Ier) et des rouleaux dorés et argentés marqués des devises de Claude se déploie dans les bordures.
L’illustration du calendrier consiste en des miniatures en demi-page placée au-dessus du texte et, dans le reste de l’ouvrage, les scènes bibliques en pleine page sont mises en valeur par un cadre architectural à l’antique. Des éléments se trouvent conjointement dans le livre de prières et dans le Livre d’Heures, ce qui laisse supposer qu’ils furent conçus suite à une seule et même commande. Dans le livre d’Heures, le peintre utilise la cordelière en guise de cadre, traitement original qui fait également la particularité de l’ouvrage new-yorkais. Le rosaire, symbole de la piété de Claude, constitue également un fil rouge entre les deux livres : il y apparaît à plusieurs reprises accroché aux éléments architecturaux des encadrements.
Pourquoi la reine Claude a-t-elle commandé deux ouvrages au lieu d’un seul ? La nature du texte et des images permet de proposer une réponse [ Wieck, 2014, p. 20-21 et 30]. Alors que le texte du livre d’Heures est tout à fait traditionnel, celui du livre de prières touche directement à l’histoire familiale de Claude. La présence de son époux est moins prégnante que dans le livre d’Heures, seule la cordelière de la Maison de Savoie du feuillet 24vo y fait allusion. En revanche une place plus grande est accordée, toujours de façon indirecte, aux préoccupations personnelles et intimes de la reine.
La répétition d’une iconographie liée à la résurrection (Saint Jean ressuscitant Drusiana, fo1vo; Saint Claude ressuscitant un mort, fo36 ; Saint René ressuscitant un enfant mort, fo39vo) traduit son anxiété à propos de sa capacité à engendrer un héritier, d’autant plus que sa mère avait échoué à offrir un héritier mâle à la Couronne et qu’elle-même, en date de la réalisation du livre, n’avait donné naissance qu’à deux filles. Cette question est aussi sous-jacente dans l’image de la Trinité où un parallèle est créé entre le Christ acceptant son rôle de Sauveur pour le bien de l’Humanité et le roi François Ier qui doit apporter un fils pour garantir la prospérité du royaume. La marque de Claude de France est particulièrement sensible dans le choix des saints invoqués dans les Suffrages des saints. On y retrouve les saints patrons des membres de sa famille, Anne pour sa mère, René pour sa sœur, saint Louis pour son père, et Claude pour elle-même, mais aussi des saints auxquels ses proches et elle vouaient une dévotion particulière. Ainsi, Marie-Madeleine et Marthe évoquent les pèlerinages effectués en 1515 par Claude dans les sanctuaires de Sainte-Baume et de Tarascon. Sainte Ursule, sainte Hélène et saint Antoine de Padoue rappellent des dévotions chères à sa mère et le Saint Sacrement, figuré sur un autel dans le dernier feuillet, pourrait évoquer la dévotion que son père développa lors d’une guérison intervenue après un vœu à la Sainte Hostie de Dijon.
Bibliographie
Chancel-Bardelot Béatrice de, Charron Pascale , Girault Pierre-Gilles, Guillouët Jean-Marie (dir.), Tour 1500, capitale des arts, catalogue de l’exposition du musée des Beaux-Arts de Tours du 17 mars au 17 juin 2012, Paris, Somogy, 2012, p. 263-267.
König Eberhard, The book of Hours of Claude de France, Ramsen, Heribert Tenschert, 2012.
Sterling Charles, The Master of Claude, a newly defined miniaturist, New York, H. P. Kraus, 1975.
Wieck Roger S., Miracles in miniature, the art of the Master of Claude de France, catalogue de l’exposition du 30 mai au 14 septembre 2014, New York, Morgan Library and Museum, 2014.